Introduction : France – Allemagne – Amérique du Nord. Transferts – Images – Relations

Le colloque bisannuel organisé par le Comité franco-allemand de recherches sur l’histoire des 19ème et 20ème siècles, qui s’est tenu du 24 au 26 septembre 2004 à l’Institut Gustav Stresemann à Bonn, a porté sur les relations existant entre l’Allemagne, la France et l’Amérique du Nord au cours des 19 et 20ème siècles. Le choix du sujet était resté en suspens lors de l’Assemblée générale du 16 septembre 2002 à Pont-à-Mousson. Deux thèmes avaient été retenus : l’un portait sur les transferts culturels, l’autre sur les relations entre nos deux pays et les pays non-européens d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique. Le premier d’entre eux ayant fait l’objet de plusieurs colloques au cours de l’année 2004, le bureau du Comité a décidé, après enquête auprès des membres, de choisir le second.

Introduction : France – Allemagne – Amérique du Nord. Transferts – Images – Relations

Chantal Metzger

Le colloque bisannuel organisé par le Comité franco-allemand de recherches sur l’histoire des 19ème et 20ème siècles, qui s’est tenu du 24 au 26 septembre 2004 à l’Institut Gustav Stresemann à Bonn, a porté sur les relations existant entre l’Allemagne, la France et l’Amérique du Nord au cours des 19 et 20ème siècles. Le choix du sujet était resté en suspens lors de l’Assemblée générale du 16 septembre 2002 à Pont-à-Mousson. Deux thèmes avaient été retenus : l’un portait sur les transferts culturels, l’autre sur les relations entre nos deux pays et les pays non-européens d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique. Le premier d’entre eux ayant fait l’objet de plusieurs colloques au cours de l’année 2004, le bureau du Comité a décidé, après enquête auprès des membres, de choisir le second.

Après deux colloques consacrés à l’histoire sociale, culturelle et politique des deux pays « Les structures de pouvoir en France et en Allemagne : les institutions et les hommes » et « Apprendre et enseigner en France et en Allemagne », ce colloque s’inscrit enfin dans la continuité de ceux qui ont déjà été organisés par le Comité franco-allemand sur le thème des relations entre la France, l’Allemagne et des pays tiers aux 19ème et 20ème siècles. Le choix comme pays tiers de l’Amérique du Nord a été imposé par l’actualité. Au moment où la crise irakienne conduisait à un profond bouleversement des liens complexes unissant les partenaires en pré­sence et où le secrétaire d’État à la Défense américain Donald Rumsfeld a été amené à dénoncer le manque de solidarité de la France et de l’Allemagne, repré­sentants de la « vieille Europe », les membres du Comité ont souhaité s’interroger sur l’évolution du triangle à géométrie variable représenté par la France, l’Allemagne et l’Amérique du Nord.[1]

Hommes politiques, hommes de Lettres mais aussi hommes d’affaires euro­péens se sont dès le début du 19ème siècle intéressés au nouveau continent. La France a participé à la guerre d’indépendance qui a permis la fondation des États-Unis d’Amérique, nombreux furent les Allemands qui au cours du 19ème siècle émigrèrent pour des motifs politiques en 1848 ou économique vers le nouveau monde. A la fin du 19ème siècle, Ernest Renan constate que « le monde marche sur une sorte d’américanisme qui blesse nos idées raffinées », son jugement sur l’Amérique serait donc plutôt négatif. Selon lui, les Américains menacent l’Europe dans le domaine culturel. Paul Valéry ou Georges Duhamel s’interrogent aussi, au début du 20ème siècle, sur cette modernité conquérante venue d’outre-Atlantique. Duhamel dans Scènes de la vie future[2] fustige « cet enfer technisé et peuplé d’êtres transformés en robots »; il craint « les stigmates de cette civilisa­tion dévorante ». Pour quelques intellectuels, les États-Unis font donc presque figure de repoussoir. Après 1945, la situation est inversée, l’Amérique du Nord constitue un modèle de réussite du capitalisme, qu’il convient d’imiter. Les Euro­péens s’américanisent, adoptent les procédés, les modèles de consommation, les pratiques socio-culturelles, le mode de vie voire même parfois les cadres de pen­sée américains. Les traces de cette américanisation sont multiformes. La Républi­que fédérale semble la plus touchée, la France se voulant fidèle à son « exception culturelle ». Mais y a-t-il eu en Allemagne et en France une adhésion véritable à la vision du monde américaine ou a-t-elle été en partie imposée ? Certains Euro­péens déplorent le vide intellectuel et culturel, l’optimisme de pacotille véhiculé par l’Amérique et ne le trouvent pas attractif. Leur amour-propre est atteint et ils rejettent cette domination qui les mortifie. Sur le plan politique, le général de Gaulle avait tenté d’éloigner l’Allemagne des États-Unis en signant avec Konrad Adenauer, le traité de l’Elysée, le 22 janvier 1963. Mais les pressions exercées par le président Kennedy ont entraîné le rajout par les Allemands d’un préambule au traité, qui mentionne l’attachement aux États-Unis et à l’OTAN et dénature la portée de ce traité.

Depuis la chute de l’Union soviétique, les États-Unis dominent le monde et cet unilatéralisme a parfois provoqué en France et en RFA une poussée d’antiaméricanisme. Dans un article, paru au cours de l’été 2001 dans TheNatio­nalInterest, le rédacteur en chef de DieZeit, Josef Joffe s’interroge : « Who is afraid of Mr Big ? ». Il répond dans une certaine mesure à l’ancien conseiller pour les affaires de sécurité de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, qui avait écrit, en 1997 : « Pour le dire sans détour, l’Europe de l’Ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses États rappellent ce qu’étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens Empires » :[3] La solidarité a été de mise après le 11 septembre 2002. Un an plus tard, la guerre en Irak a vu pour la première fois, les Allemands prendre une certaine distance face à leur allié américains et ceci en accord avec la politique française.

Les participants du colloque n’ont pas cherché à polémiquer sur ces sujets. Ils ont abordé, au cours de ces deux jours, des domaines très différents : relations entre France – Allemagne et Amérique du Nord, image de l’autre, mais aussi transferts et ceci à tous les niveaux : politique, culturel, technologique et écono­mique. Monsieur François Scheer, ambassadeur de France en République fédérale de 1993 à 1999, a ouvert le colloque, à l’Institut Robert Schuman le 24 septembre. Il est intervenu sur un sujet qu’il connaissait bien puisqu’il fut également en poste auprès des Communautés européennes : « la France et de l’Allemagne au tournant de l’Europe ». Il a évoqué, après un rappel historique, le rôle moteur des deux pays fondateurs, il a conclu son propos en insistant sur la nécessité de redonner à l’Europe une nouvelle impulsion et de trouver pour l’Europe des 25 un enjeu à longue échéance.

André Kaspi, invité par le Comité franco-allemand en tant que spécialiste de l’histoire des États-Unis a évoqué l’image de la France et des États-Unis après 1945. Il estime que les permanences ont façonné les représentations dans l’immédiat après-guerre, la France est toujours présentée comme un allié incom­mode, l’Allemagne comme un vaincu qui doit rendre des comptes et guérir. Les États-Unis se considèrent au lendemain de la guerre comme une véritable puis­sance européenne. La vieille Europe étant vouée au déclin, ils doivent la rempla­cer et sauvegarder la démocratie en Europe. La politique allemande des États-Unis provoque, selon Annie Lacroix-Rix des inquiétudes. Comme dans l’entre-deux-guerres, ils cherchent à relever l’Allemagne. On retrouve ces craintes à la fin des années soixante, constate Gottfried Niedhart. Le sujet en est différent : Français mais aussi Américains redoutent que l’Ostpolitik ne provoque un retournement des Allemands, qui s’éloigneraient de l’alliance occidentale. Dans un tel contexte, les États-Unis sont les partenaires privilégiés de la France et de l’Allemagne. Cette première approche du sujet a permis de voir l’évolution du rôle joué par les États-Unis dans la relation triangulaire. De protecteur et fédérateur au début des années cinquante, cette position a évolué car Français et Allemands prenant de l’assurance et surmontant leurs antagonismes, ont cherché à s’émanciper de la tutelle américaine.

La séance consacrée à l’image de l’autre a été introduite par deux communi­cations, celles de Jean Nurdin et de Philippe Alexandre. Les deux intervenants ont insisté sur le fait qu’au 19ème siècle, les États-Unis servent de modèle voire de partenaire éventuel aux Français et aux Allemands. Le danger est déjà souligné par Alexis de Tocqueville et de nombreux écrivains politiques qui se méfient et admirent à la fois la montée en puissance des États-Unis et de la Russie face à une Europe en déclin. Cette admiration entraîne dans l’entre-deux-guerres les premiers transferts culturels de part et d’autre de l’Atlantique. Le développement de la société de consommation, l’apparition des mouvements féministes, du jazz sont pour Thomas Raithel les signes d’une première « américanisation » plus manifeste déjà en Allemagne qu’en France. Après la Deuxième Guerre mondiale, et surtout dans les années soixante-soixante-dix, les rapports entre les trois pays évoluent. Reiner Marcowitz constate que le modèle américain perd une partie de son attrac­tion, le discours pro-européen relaie le discours pro-américain, même s’il n’y a pas encore de véritable prise de conscience d’une identité européenne. Les rap­ports des deux puissances européennes avec le Canada, l’autre puissance nord-américaine, sont étudiés par Helga Bories-Sawala. Elle analyse la façon dont sont perçues la France et l’Allemagne lors de la campagne pour l’indépendance du Québec de 1995 et l’image de la belle province dans ces deux pays. Tous les intervenants ont constaté aux 19ème et 20ème siècle, une absence d’image négative de l’autre, exception faite pour le Canada.

Cette tendance explique en grande partie les transferts qui ont eu lieu entre les trois États. Les départs de la vieille Europe vers le nouveau monde au 19ème siècle après les révolutions de 1848 ou la guerre de 1870/71 ont été abordés par Marianne Walle et par Heike Bungert. Fuyant l’Europe, les réfugiés politiques allemands ne se sont pas assimilés aux anciens immigrants, ils ont eu, selon Marianne Walle, une certaine influence sur la politique américaine de non-inter­vention en Europe. Les réactions des immigrants d’origine française et allemande diffèrent évidemment : si les Allemands se réjouissent de l’annexion de l’Alsace-Lorraine, tel n’est pas le cas des Français. Les deux communautés, comme le constate Heike Bungert, n’ont que fort peu de contact sur le sol américain. Les transferts technologiques abordés par Françoise Berger, sont, en revanche, importants de part et d’autre de l’Atlantique. Français et Allemands font souvent, dans l’entre-deux-guerres, le « voyage d’Amérique » pour acquérir des connais­sances sur les nouvelles techniques, mais les transferts technologiques entre les deux pays européens sont plus rares. Le sujet des transferts culturels est bien connu grâce aux travaux de Dietmar Hüser. Sa communication porte sur l’américanisation de la jeunesse française et allemande dans les années 1950–60. L’impact du phénomène rock an roll semble plus prégnant en Allemagne qu’en France. Il existe un rock français, le rock allemand se retrouve surtout en RDA ! Comme dans les interventions précédentes, on peut noter que les transferts sont possibles de part et d’autre de l’Atlantique, mais qu’ils sont fort rares entre Fran­çais et Allemands. L’influence américaine est indéniablement plus forte en Alle­magne qu’en France, notamment dans le domaine culturel. L’intervention fort originale d’Armin Heinen sur le thème de la jeune Europe et de la vieille Améri­que face à l’abolition de la peine de mort clôt ce colloque. Une divergence fon­damentale d’ordre culturel existe entre les trois pays qui émanent pourtant d’une civilisation commune. Des différences existent, note Armin Heinen, à l’intérieur même des États-Unis entre les États du Nord et du Sud, et certains États ont même devancé la vieille Europe en abolissant la peine de mort. On s’achemine dans les dernières décennies vers un rapprochement des conceptions.

Les relations entre Français et Allemands de conflictuelles se sont progressi­vement renforcées mais sans entraîner de grands transferts. Les deux pays euro­péens à la fin du 20ème siècle ont la même vision de l’autre et leurs opinions sur les Américains se sont aussi rapprochées. Ce colloque riche et varié a permis de faire le point sur les dernières recherches des historiens allemands et français. Les débats fructueux qui ont suivi les interventions ont permis de confronter deux visions qui n’étaient pas forcément contradictoires et comme le déclarait André Kaspi « ce voyage dans le royaume des mythes et au cœur des réalités »[4] a bien éclairé un pan souvent méconnu ou bien totalement ignoré de l’histoire de nos pays.



[1] Voir le rapport sur le colloque franco-allemand à Bonn: Kaelble, Hartmut, Deutschland – Frankreich – Nordamerika: Transfers, Emigrationen, Beziehungen. Bericht zur Tagung des deutsch-französischen Komitees für die Erforschung der deutschen und französischen Gechich­te des 19. und 20. Jahrhunderts vom 24.-26.09.2004 in Bonn, dans H-Soz-u-Kult, Oktober 2004: http://hsozkult.geschichte.hu-berlin.de/tagungsberichte/sort=datum&order=down&hskyear=2004&page_id=3 (28.06.2006)

[2] Duhamel, Georges, Scènes de la vie future, Paris, Mercure de France, 1931, p. 18-19.

[3] Brzezinski, Zbigniew, Le Grand Échiquier et le reste du monde, Paris, Bayard, 1997, p. 88‑90.

[4] Barjot, Dominique ; Réveillard, Christophe (sous la dir. de), L’américanisation de l’Europe occidentale au 20ème siècle. Mythe et réalité, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2002, préface d’André Kaspi, p. 6.

Für das Themenportal verfasst von

Chantal Metzger

( 2007 )
Zitation
Chantal Metzger, Introduction : France – Allemagne – Amérique du Nord. Transferts – Images – Relations, in: Themenportal Europäische Geschichte, 2007, <www.europa.clio-online.de/essay/id/fdae-1388>.
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