L'Allemagne et la France au tournant de l'Europe

François Scheer stellt die Frage nach dem Zustand der deutsch-französischen Beziehun¬gen, so wie sie in den vergangenen 50 Jahren mit viel Geduld und teilweise unter Schmerzen aufgebaut wurden. Es ist banal, in Erinnerung zu rufen, dass die europäische Einigung ohne die starken Impulse des deutsch-französischen Motors nicht mit dem beginnenden 21. Jahrhundert ins Erwachsenenalter gekommen wäre. Gleichzeitig haben die deutsch-französischen Beziehungen im Fortschritt der europäischen Idee auch stets neue Gründe gefunden, an dem Weg einer immer engeren Verständigung festzuhalten. Dennoch fällt es Berlin und Paris seit dem Ende des Kalten Krieges schwer, den Elan wieder zu erlangen, der es ihnen erlaubte, das Schicksal der europäischen Geschichte radikal neu zu bestimmen.

L’Allemagne et la France au tournant de l’Europe

François Scheer

Dans un texte qui reprend l'essentiel de son intervention à Bonn, François Scheer s'inter­roge sur l'état et la pérennité du rapport franco-allemand tel qu'il a été patiemment et parfois dans la douleur conçu et construit depuis un demi-siècle. C'est une banalité de rappeler que l'unité européenne ne serait pas parvenue, à l'aube du 21ème siècle, au seuil de l'âge adulte sans la forte impulsion de ce moteur franco-allemand, qui a lui-même constamment trouvé dans ces progrès de l'idée européenne des raisons de persévé­rer dans la voie d'une entente toujours plus étroite. Il est toutefois vrai que depuis la fin de la guerre froide, Berlin et Paris peinent à retrouver l'élan qui leur a permis, avec le concours des alliés de la première heure, de changer radicalement le cours de l'histoire de l'Europe. Ce manque de souffle et d'inspiration tient aussi bien à l'équilibre entre les deux pays né de la réunification allemande qu'aux difficultés de la construction euro­péenne dues notamment à l'accélération brutale du processus d'élargissement de l'espace communautaire. Pour maîtriser ce mouvement, il aurait fallu un moteur franco-allemand refait à neuf et relayé par d'autres énergies. Il n'en a rien été. En dépit de quelques belles démonstrations d'amitié, le cœur n'y est plus, si la raison semble encore quelquefois l'emporter. Et du coup, l'Europe est en panne. Est-ce irrémédiable ? Peut-être non, à condition cependant que la France et l'Allemagne retrouvent le goût d'un vrai dialogue et rassemblent autour d'elles un groupe de pays qui aient encore assez d'ambition et d'ima­gination pour rêver d'un nouvel avenir pour l'Europe.

François Scheer stellt die Frage nach dem Zustand der deutsch-französischen Beziehun­gen, so wie sie in den vergangenen 50 Jahren mit viel Geduld und teilweise unter Schmerzen aufgebaut wurden. Es ist banal, in Erinnerung zu rufen, dass die europäische Einigung ohne die starken Impulse des deutsch-französischen Motors nicht mit dem beginnenden 21. Jahrhundert ins Erwachsenenalter gekommen wäre. Gleichzeitig haben die deutsch-französischen Beziehungen im Fortschritt der europäischen Idee auch stets neue Gründe gefunden, an dem Weg einer immer engeren Verständigung festzuhalten. Dennoch fällt es Berlin und Paris seit dem Ende des Kalten Krieges schwer, den Elan wieder zu erlangen, der es ihnen erlaubte, das Schicksal der europäischen Geschichte radikal neu zu bestimmen. Dieser Mangel an Inspiration ist auf das veränderte Gleich­gewicht zwischen den beiden Ländern durch die deutsche Einigung zurückzuführen ebenso wie auf die Schwierigkeiten, die mit der brutalen Beschleunigung des Erweite­rungsprozesses der Europäischen Gemeinschaft zu tun haben. Der aktuelle Stillstand ist nur rückgängig zu machen, wenn Frankreich und Deutschland wieder zu einem echten Dialog finden und um sich herum eine Gruppe von Ländern sammeln, die noch genug Ehrgeiz und Vorstellungskraft besitzen, um von einer neuen Zukunft für Europa zu träu­men.

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Que la relation franco-allemande traverse depuis une dizaine d’années une de ces périodes d’incertitudes et de tensions dont elle est coutumière est un fait avéré. Faut-il s’en inquiéter ? Peut-être davantage que par le passé, ne serait-ce qu’en raison de l’exceptionnelle durée de cette parenthèse et de l’état comateux de l’Union européenne. Dans ce tableau, il y a comme toujours des raisons de croire en l’avenir de cette relation, dont on sait qu’elle demeure une condition néces­saire, sinon suffisante, de la poursuite de la construction européenne. Au nombre d’entre elles, on peut retenir l’apparente complicité qui continue de lier le Prési­dent de la République et le Chancelier fédéral, y compris sur des sujets qui na­guère étaient source de constantes divergences entre les deux pays (relations avec les États-Unis, politique économique et monétaire), la volonté marquée avec éclat lors de la célébration du 40ème anniversaire du Traité de l’Elysée d’élargir le champ de la coopération franco-allemande (feuille de route), la commémoration côte à côte du 60ème anniversaire du débarquement en Normandie, l’ambition affichée par les deux gouvernements de mieux associer la « société civile » à l’œuvre de rapprochement entre les deux peuples (réunion de Poitiers), les initia­tives prises en commun lors des travaux de la Convention.

Les vieux dissentiments, fruits de l’histoire et de la culture, n’ont pas pour autant disparu de la scène, avivés encore par le nouvel équilibre entre Paris et Berlin né de la réunification de l’Allemagne. S’y ajoutent les pesanteurs engen­drées par l’aggravation de la situation économique et sociale dans les deux pays, la difficulté de relancer ou d’organiser dans ce climat certaines coopérations, y compris dans le domaine de la politique extérieure, et peut-être surtout un manque évident de conviction, largement répandu dans les milieux politiques, dans les administrations et dans les jeunes générations, quant à l’absolue nécessité de reconnaître encore et toujours à la relation franco-allemande un caractère de grande priorité. Point d’hostilité là-dedans, mais une relative indifférence.La laborieuse progression de la construction européenne n’est évidemment pas non plus étrangère à cet engourdissement de la coopération franco-allemande. L’Europe alterne certes elle aussi ombres et lumières. L’élargissement est en soi un évènement considérable. Et la mise sur le métier d’une Constitution pour l’Europe est la juste réponse à cet évènement unique dans l’histoire d’un continent à la recherche d’une nouvelle identité, qui tranche avec les fureurs des siècles passés. L’introduction de la Charte des droits fondamentaux dans ce texte de référence est à cet égard emblématique d’une Europe qui se veut communauté de valeurs autant que d’intérêts. Et les avancées de l’Union économique et monétaire et de la politique européenne de sécurité et de défense sont à marquer d’une pierre blanche.Mais que d’ombres sur le chemin à parcourir ! Un élargissement sans précé­dent par son ampleur qui intervient alors que l’économie européenne est frappée de langueur (2 % de croissance dans la zone Euro contre 4,5 % aux États-Unis et au Japon), et qui ouvre les portes de l’Union à des pays plus intéressés par leur intégration au grand marché que par l’édification d’une Europe politique. Un moteur franco-allemand tournant au ralenti et qui suscite plus que de la méfiance chez les nouveaux arrivants. Des institutions insuffisamment préparées par le désastreux traité de Nice à faire tourner une communauté de 25 États membres. La perspective d’une négociation d’adhésion avec la Turquie d’emblée contestée par une grande majorité de citoyens. Et surtout une absence dramatique de vision à long terme sur l’avenir d’une Union dont le visage a été profondément bouleversé par le dernier élargissement.Entre ombres et lumières se dégage ainsi le profil d’une Union avant tout zone de libre-échange, de paix et de liberté, rassemblée autour d’un noyau de pays ayant fait le choix d’une monnaie commune et esquissant les contours d’une défense commune. En restera-t-on là ? Sans aucun doute si font défaut d’une part un redémarrage du moteur franco-allemand, d’autre part la manifestation d’une nouvelle ambition pour l’unité du continent. Tenir le rapport franco-allemand pour la pierre angulaire de la construction européenne n’a rien d’anachronique, d’abord parce qu’au regard de l’histoire, il reste, dans cette Europe rassemblée, le symbole du nouveau cours de l’histoire du continent, ensuite parce que géogra­phiquement, démographiquement, économiquement, il est par nature la colonne vertébrale de cette Europe. Encore faut-il qu’il regagne en crédibilité auprès de ses partenaires en sortant de sa léthargie. Y parviendra-t-il ? Peut-être si les deux pays s’attachent à tenir les engagements pris en 2003 et à suivre la feuille de route qui les précisaient. Mériteront dans ce contexte une particulière attention d’une part les initiatives en faveur d’une coopération accrue entre collectivités régiona­les et locales, et plus généralement entre citoyens des deux pays (la si mal nom­mée société civile !), d’autre part les actions dans le domaine de l’éducation (surtout ne pas abandonner la partie dans la connaissance de nos langues respecti­ves) et de l’information. Cette relance de la machine franco-allemande ne pourra pas pour autant igno­rer le regard des autres et imposera aux deux capitales d’associer à leurs initiatives autant de partenaires que possible, et de ne jamais négliger de nourrir le dialogue avec l’ensemble des États membres, afin de conjurer le spectre de la division surgi mal à propos lors du déclenchement de la guerre anglo-américaine contre l’Irak. Ce devoir de solidarité ne devrait cependant pas détourner l’Allemagne et la France de maintenir sur le métier, en dépit des fortes réticences qu’il suscite de part et d’autre du Rhin, le projet d’une Union plus étroite entre les deux pays, symbole et gardienne d’une unité européenne qui leur doit beaucoup et que menace la résurgence de vieux réflexes nationalistes, dont malheureusement aucun État membre n’est exempt.

Quant à l’affirmation d’une grande ambition pour l’Europe du 21ème siècle, aussi porteuse d’espoir que le projet des pères fondateurs voici 50 ans, et triste­ment absente aujourd’hui des débats bruxellois, il est peu probable qu’elle sur­gisse du néant. Il y faudra d’abord une relance dynamique du grand marché, dont l’achèvement est à programmer sans délai : le nouvel intérêt porté à la Stratégie de Lisbonne pourrait en être l’occasion, à condition que l’économie de la connais­sance (formation, recherche, innovation) en soit le cœur et qu’une véritable politi­que industrielle ose dire son nom. Il convient également que l’étape du Traité constitutionnel soit rapidement franchie, qui seule permettra de commencer à mettre en place les institutions, les politiques et les procédures sans lesquelles une Europe à 25, 27 ou 30 est assurément condamnée à l’immobilisme, et l’Europe politique renvoyée au royaume des ombres, ainsi que le souhaitent au demeurant les contempteurs de ce Traité. Ajouterais-je qu’une nouvelle vision du futur euro­péen a peu de chance de naître d’une confabulation à 25 et que comme à l’accoutumée et plus encore que naguère, l’initiative appartiendra à ceux qui auront la capacité de prendre du champ et de se dégager des contraintes du quoti­dien pour constituer une force de proposition : j’ai peine à imaginer que l’Allemagne et la France ne soient pas le moteur de cette nouvelle machine à faire rêver les Européens ; et que le moment venu, elles ne paient pas d’exemple en entraînant certains de leurs partenaires sur des voies nouvelles, afin de donner un visage à une Europe en mal de présence sur la scène internationale.

Reste à imaginer ce que pourrait être ce futur européen. La réponse ne pou­vant être que le fruit d’une réflexion longuement mûrie, ce n’est pas le lieu d’inventer des scénarios improbables, une fois reconnus comme une exigence première l’achèvement du grand marché et la consolidation de l’espace de paix et de liberté qui fonde politiquement l’unité européenne. Mais cette consolidation a un prix : les citoyens d’Europe sont-ils prêts à le payer ? C’est toute la probléma­tique de ce que l’on nomme Europe politique qui est contenue dans cette interro­gation. Avec une question subsidiaire, d’une brûlante actualité : quelles limites géographiques assigner à cette Europe unifiée ?Si l’on veut bien reconnaître que l’unité de l’Europe est d’abord une idée avant d’être un territoire, j’esquisserai simplement un scénario qui permettrait de dépasser le vain débat des frontières de l’Europe : l’édification d’une communauté euro-méditerranéenne. Une telle perspective ouvrirait la voie à une réorganisation de l’espace européen, prenant en compte la nécessaire différenciation des rythmes d’intégration et la possibilité d’asseoir sur des fondations crédibles une Europe soucieuse de dialoguer d’égal à égal avec ses grands partenaires, à commencer par les États-Unis, et capable de s’affirmer sur la scène mondiale comme une force de paix et un acteur majeur dans la lutte pour le développement et la sauvegarde de l’environnement. Mais loin de moi l’idée qu’il n’y aurait pas d’autres voies pour sortir l’Europe de l’enlisement qui la menace. Seule compte la question : Paris et Berlin sauront-ils une fois encore prendre leurs responsabilités pour faire que cet enlisement n’annonce pas la fin programmée de l’aventure européenne ?
Für das Themenportal verfasst von

François Scheer

( 2007 )
Zitation
François Scheer, L'Allemagne et la France au tournant de l'Europe, in: Themenportal Europäische Geschichte, 2007, <www.europa.clio-online.de/essay/id/fdae-1389>.
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