Apprendre à être citoyen dans les républiques allemandes et française du premier XXe siècle

Die griechische Idee von Staatsbürgerschaft, Aristoteles’ Vorstellung vom Menschen als politischem Wesen, als in der Gesellschaft lebender Mensch, ist universell und allzeit gültig. Die moderne Bedeutung des Bürgers als freie Person, mit einem sowohl politischen als auch territorialen Bewusstsein, ist restriktiv und dialektisch: restriktiv durch ihre Einordnung in den beschränkten Rahmen des modernen Staates, dialektisch insofern als sie gemeinschaftliche und Einzelinteressen einander entgegenstellt. Wie soll unter diesen Bedingungen ein moderner Bürger unterrichtet werden? Haben die Lehrpläne und die Staatsbürgerkunde in Europa seit dem 19. Jahrhundert diesen Widerspruch überwunden? Haben sie diese Einschränkung behoben? Sie entstanden in Massengesellschaften, in vom Staat errichteten Schulsystemen. In der modernen Geschichte ist die Schulkultur vor allem eine politische Kultur.[...]

Apprendre à être citoyen dans les républiques allemandes et françaises du premier XXe siècle

Von Jeannie Bauvois Cauchepin

L’idée grecque de citoyenneté, la conception aristotélicienne de l’homme comme animal politique, c’est-à-dire de l’homme vivant en société, est universelle et de tous les temps. En revanche, l’acception moderne du citoyen comme personne libre et douée d’une conscience à la fois politique et territoriale est restrictive et dialectique : restrictive par son inscription dans le cadre borné des États modernes, dialectique en ce qu’elle oppose intérêts collectifs et intérêts particuliers. Comment, dans ces conditions, instruire le citoyen moderne ? Les programmes d’instruction et d’éducation civique mis en œuvre en Europe depuis le XIXe siècle dépassaient-ils cette contradiction ? Remédiaient-ils à cet enfermement ? Ils voient le jour dans des sociétés de masse, dans des systèmes scolaires édifiés par l’État. Dans l’histoire contemporaine, la culture scolaire est d’abord une culture politique. Les programmes d’éducation et d’instruction civique en sont l’expression la plus évidente, voire la plus triviale. Ils voient le jour dans le contexte de crises internes et externes de l’autorité politique, dans une période de transition entre émergence puis destruction de nations républicaines (IIIe République, République de Weimar), et construction ou reconstruction d’États démocratiques (IVe République, République fédérale). Enfin, ces programmes voient le jour dans le contexte de la confrontation franco-allemande, du nationalisme flamboyant qui a embrasé l’Europe de la fin du XIXe siècle aux années 1950 : voulaient-ils éduquer à la nation ? à la Républi­que ? à la démocratie ? La culture scolaire analysée dans son contenu et non dans son vécu apparaît comme un lieu particulier de tensions entre une logique de préservation, ici de conformation du citoyen, et l’utopie, héritée des Lumières, d’un changement de la société. Les programmes et les manuels scolaires dans leurs objectifs, ce que l’on croit bon ou mauvais de transmettre aux générations futures, constituent à la fois le condensé et l’essence d’un moment de la culture, ici de la culture politique des sociétés allemande et française.

Die griechische Idee von Staatsbürgerschaft, Aristoteles’ Vorstellung vom Menschen als politischem Wesen, als in der Gesellschaft lebender Mensch, ist universell und allzeit gültig. Die moderne Bedeutung des Bürgers als freie Person, mit einem sowohl politi­schen als auch territorialen Bewusstsein, ist restriktiv und dialektisch: restriktiv durch ihre Einordnung in den beschränkten Rahmen des modernen Staates, dialektisch insofern als sie gemeinschaftliche und Einzelinteressen einander entgegenstellt. Wie soll unter diesen Bedingungen ein moderner Bürger unterrichtet werden? Haben die Lehrpläne und die Staatsbürgerkunde in Europa seit dem 19. Jahrhundert diesen Widerspruch überwun­den? Haben sie diese Einschränkung behoben? Sie entstanden in Massengesellschaften, in vom Staat errichteten Schulsystemen. In der modernen Geschichte ist die Schulkultur vor allem eine politische Kultur. Dies kommt im Schulunterricht und in der Staatsbürger­kunde am offensichtlichsten, aber auch am trivialsten zum Ausdruck. Sie kamen während interner oder externer Krisensituationen der politischen Autorität zustande, in Über­gangsperioden von Entstehung und Zerstörung republikanischer Nationen (III. Republik, Weimarer Republik) oder beim Auf- und Umbau von demokratischen Staaten (IV. Repu­blik, Bundesrepublik). Schließlich entstanden sie im Kontext der deutsch-französischen Auseinandersetzung und des auflodernden Nationalismus in Europa zwischen dem Ende des 19. Jahrhunderts und den 1950er Jahren. Ging es um die Erziehung der Nation? Zur Republik? Zur Demokratie? Die Analyse der schulischen Kultur anhand ihres Inhalts und nicht ihres Alltags erscheint wie ein spezieller, spannungsgeladener Ort zwischen Erhal­tungslogik (hier die Konformisierung der Bürger) und Utopie der Aufklärung (zur Verän­derung der Gesellschaft). Lehrpläne und Schulbücher stellen in ihrer Zielsetzung das dar, was an Gutem und Schlechtem den zukünftigen Generationen übertragen werden soll. Sie sind sowohl das Konzentrat als auch die Essenz eines kulturellen Moments, in diesem Fall der politischen Kultur der deutschen und der französischen Gesellschaft.

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Le souci d’éducation ou d’instruction politiques n’est pas un slogan électoral ou une mode pédagogique du moment.[1] Il n’est pas seulement propre à des sociétés contemporaines en mal de démocratie. La formation politique était déjà la préoc­cupation des sophistes du Ve siècle avant J.C. Mais le sens contemporain de la formation du citoyen n’a rien à voir avec celui de l’arétè grecque antique.[2] Car, depuis le XVIIIe siècle, le citoyen idéal est considéré comme une personne libre, douée d’une conscience à la fois politique et territoriale. Être citoyen, ce n’est plus seulement pouvoir vivre dans le cadre de la cité ; c’est aussi y obtenir et conquérir une dignité et un pouvoir personnels. Le statut de citoyen et celui de sujet sont devenus antinomiques. La question est donc de savoir si l’apprentissage de la citoyenneté relève d’une logique de conformation ou d’émancipation.

La période contemporaine de l’histoire européenne dans laquelle se situe notre réflexion, un temps court d’une soixantaine d’années, est d’abord celle des sociétés de masse. Depuis le XIXe siècle, l’éducation et l’instruction ont été organisées en systèmes à la charge de l’État. Elles sont passées, en grande partie, du domaine privé au domaine public. Dans ce contexte, les directives et pro­grammes d’instruction civique sont parmi les révélateurs et indices évidents d’un processus de politisation de plus en plus général de ces sociétés.

Autres éléments du contexte : le déploiement des jeunes démocraties en société de masse et leur fragilisation dans la première moitié du XXe siècle, du fait de l’affirmation et de l’extension des régimes totalitaires, étrangers et hostiles, par définition, à toute forme de citoyenneté. Les directives et les programmes d’instruction civique, que voulaient alors promouvoir les républiques allemandes et françaises, font figure, dans ces conditions, d’une sorte de thérapie de groupe. Ils sont édictés dans des périodes de crises et de fragilités internes et externes de l’autorité politique : dans les débuts d’une république diversement contestée, voire dénigrée par l’opinion (IIIe République en France, République de Weimar en Allemagne) et dans les phases de construction ou reconstruction d’États démocra­tiques (IVe République en France, République fédérale en Allemagne). Le troi­sième élément du contexte est le nationalisme flamboyant, hérité du XIXe siè­cle, à la fois ardent, excessif, mais déjà mis en question. Car notre période est encadrée par deux guerres mondiales, dont on sait ce qu’elles doivent au conten­tieux franco-allemand. Former un citoyen à cette époque, c’était aussi définir l’attitude à avoir à l’égard de ce différend. La comparaison de l’Allemagne et de la France du point de vue de l’instruction civique devrait donc permettre de mesu­rer ce qui distingue éducation politique et éducation nationale.[3]

La comparaison des textes officiels, des débats entre professeurs, des manuels allemands et français, donne à voir beaucoup de convergences. Dans le champ de l’histoire culturelle, le discours scolaire traduit avec acuité et grossit, de façon presque caricaturale, les contradictions entre les attendus d’un changement et les permanences des sociétés. Il constitue une sorte d’essence ou de condensé de la culture politique du moment. À la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, l’ambition d’une éducation civique allant de pair avec une ambi­tion démocratique à l’échelle des sociétés de masse apparaît bien, a priori, comme singularité historique. Le discours scolaire, qui en est la traduction, devrait per­mettre de mesurer ce qui distinguait, à cette époque, pratique et utopie démocrati­que, politisation et idéologisation.

Pluridisciplinarité

L’instruction ou éducation civique n’est pas et n’a jamais été un enseignement à base disciplinaire. Elle relève à la fois de l’histoire, du droit, de la géographie, de la philosophie. Contrairement à ce que Condorcet avait envisagé en 1792[4], elle n’est pas la traduction pédagogique d’une science politique élaborée en amont. En France, elle fit l’objet d’un enseignement et d’un programme spécifiques au niveau élémentaire dans la Loi Ferry de 1882, sous le titre : « instruction morale et civique ».[5] Les programmes de l’Arrêté du 27 juillet 1882 mettaient l’accent sur le vocabulaire spécifique, distinguaient les droits et les devoirs du citoyen, initiaient, dans le cours supérieur, au droit privé et à l’économie politique. Par crainte d’une accusation d’endoctrinement, on évoquait accessoirement la nation et on évitait de parler de la République : des scrupules oubliés dans la rédaction des premiers manuels et dans les directives ultérieures.[6] Ces directives ne sont pas novatrices. Elles font œuvre de compromis dans un long débat qui parcourt tout le XIXe siècle entre conservateurs, partisans d’une éducation morale incombant principa­lement à l’Église, et libéraux, partisans d’une éducation politique incombant évidemment à l’État. Dans la nébuleuse des débats relatifs à l’éducation, les pre­miers défendaient le latin, la rhétorique et la religion, les seconds, les sciences, les langues vivantes, l’histoire et l’instruction civique.

Cet enseignement spécifique fut institué dans le second degré après la Seconde Guerre mondiale, en 1945 pour le premier cycle et en 1948 pour les lycées et collèges. Les Arrêtés de juin 1945 et de mars 1948, dus à Gustave Monod et à Louis François, s’inscrivaient dans un programme général de démo­cratisation de la société française et d’ouverture aux masses de l’enseignement secondaire, conformément à des projets de réformes scolaires élaborés à Alger, et repris dans le plan Langevin-Wallon. Comme dans l’enseignement élémentaire, l’instruction civique des collèges et des lycées de la IVe République était pluri­disciplinaire : il s’agissait de faire connaître les institutions politiques et adminis­tratives de la France, le droit du travail, la démographie, les grandes organisations internationales. L’instruction civique relevait aussi des sciences économiques et sociales.[7] La question de la localisation de cette « discipline » nouvelle se posait alors pleinement. Comme l’écrit Jean Peyrot : « Inscrite nulle part, affectée à personne, l’instruction civique reste un objectif noble qui engage tout le monde et personne ». Dans la pratique, elle fut confiée assez systématiquement au profes­seur d’histoire et géographie.[8]

Sous la République de Weimar comme au début de la République fédérale, l’éducation civique ne fut, en Allemagne, ni une priorité, ni une discipline spécifi­que. Dans les programmes prussiens de 1927, les objectifs de la Staatsbürger­kunde étaient intégrés aux directives de l’enseignement de l’histoire des lycées.[9] Il s’agissait à la fois d’une éducation politique, morale, et d’une éducation à la paix. La diversité des opinions et l’esprit de tolérance devaient être respectés, mais les querelles des partis politiques devaient être écartées : où l’on retrouve les craintes de l’endoctrinement. Les grands élèves devaient étudier les droits politiques et l’organisation sociale et politique des pays étrangers. L’accent était mis sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Selbstbestimmungsrecht, base préten­due officielle des Traités de paix et du nouveau découpage des États européens, slogan racoleur à l’époque, comme l’est, aujourd’hui, l’incantation de la démo­cratie. Ces instructions peuvent être mises en relation avec l’article 148 de la Constitution, qui prescrivait la nécessité d’inculquer aux Allemands le sens de la citoyenneté et de la réconciliation des peuples, Völkerversöhnung. Aux femmes allemandes qui venaient d’acquérir, avant les femmes françaises, le suffrage poli­tique, était aussi reconnue la nécessité d’une éducation particulière. Un grand nombre d’articles de la revue des professeurs d’histoire allemands, Vergangenheit und Gegenwart, publiés au début des années 1920, traitaient de la nécessité de la formation politique des Allemands. On faisait allusion au modèle grec antique, on s’interrogeait sur le fédéralisme, on discutait de la Société des Nations. La ques­tion d’une éducation politique des Allemands faisait donc débat parmi les ensei­gnants.[10]

Cette nécessité est devenue impérative après les catastrophes conjuguées du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale. La ré-éducation des Allemands (Um­erziehung), dans le sens d’un apprentissage de la citoyenneté, était édictée par les puissances d’occupation. Le démantèlement de la Prusse, décidé par les Alliés, allait de pair avec la condamnation du « prussianisme », considéré comme trait d’attachement dépassé et dangereux à des formes trop autoritaires et militaristes de pouvoir. Les Américains soulignaient tout particulièrement le déficit démocra­tique du peuple allemand et faisaient un curieux amalgame entre les traditions d’autoritarisme et les traditions humanistes de l’enseignement allemand : en Bavière, ils décrétèrent l’abandon d’un enseignement « humaniste stimulant mais stérile », au profit de la formation de citoyens responsables.[11] Mais ce furent, très tôt, les Allemands eux-mêmes, qui se chargèrent de cette tâche.[12] Comme au début de la République de Weimar, il s’agissait moins d’instituer une instruction civique des Allemands que de rénover l’enseignement de l’histoire. Deux tendances s’opposaient alors : celle qui consistait à promouvoir la Kulturgeschichte (non pas l’histoire culturelle, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, mais plutôt une histoire économique, sociale et culturelle qui semblait plus en phase avec les problèmes du moment et plus à même d’éloigner les Allemands du spectre du nationalisme), et celle qui donnait la priorité à une formation spécifiquement politique.[13] De ces deux tendances, c’est la première qui l’emporta. Il n’y eut donc pas, à la différence de la France, une instruction civique spécifique dans les lycées allemands au début de la République fédérale. Cette instruction civique, dans les programmes harmonisés des Länder de 1953 qui définissaient les objectifs com­muns de l’enseignement historique en Allemagne fédérale, était vue comme prin­cipe général d’enseignement.[14] La conférence de Calw de 1951, qui avait préparé cette harmonisation, avait conclu à l’unanimité que cette formation était certes nécessaire, que son cadre privilégié était celui de la communauté scolaire, mais qu’elle participait de toutes les disciplines.[15] Dans certaines classes et dans cer­tains Länder, on prévoyait l’étude d’une sorte de science sociale, Gemeinschafts­kunde, plutôt en retrait, du point de vue politique, par rapport à la Staatsbürger­kunde. L’essentiel de la formation politiquedes Allemands incombait toujours aux professeurs d’histoire. La lecture des articles de la nouvelle revue des profes­seurs d’histoire allemands, Geschichte in Wissenschaft und Unterricht[16], montre que la question des objectifs politiques de cet enseignement était toujours discu­tée, avec moins d’acuité cependant qu’au début de la République de Weimar.

L’instruction civique a relancé le débat toujours ouvert entre les nécessités cognitives et les nécessités pratiques de l’enseignement. Sous la IIIe République, dans les écoles élémentaires françaises, elle devait développer des connaissances institutionnelles, mais devait aussi se baser sur l’expérience quotidienne de la vie scolaire, l’école étant considérée comme le microcosme de la vie sociale. Selon les programmes de 1887[17], les élèves pouvaient élire des « officiers sanitaires » et des « responsables de coopérative », « des sociétés des amis des arbres ou des amis des oiseaux » ou des « ligues de bonté ». Les instructions prussiennes de 1927 invitaient également à construire l’instruction civique sur des bases concrè­tes, vie familiale, locale et professionnelle.[18] Mêmes perspectives pendant la IVe République où l’on étudiait, de manière concentrique, de la 6ème à la 3ème, les institutions de la commune, des départements et de l’État et où il fallait aussi « avoir recours aux enquêtes et à l’étude du milieu », par exemple, dans « un bureau de poste », « une ferme » ou « un commerce ». Les programmes de second cycle introduisaient des concepts abstraits comme ceux de « libéralisme, socia­lisme, étatisme, nationalisme, internationalisme », mais invitaient en même temps à développer une « pédagogie active, vivante, concrète », à entreprendre des enquêtes sur le terrain (visites d’hôpitaux, de l’imprimerie des journaux, des coo­pératives de consommation, de la Bourse du Travail), et à prendre en compte « l’actualité nationale et internationale ». Les « débats » étaient recommandés, et une attention toute particulière était portée à l’élection des élèves responsables de la classe.[19] Dans les souvenirs qu’il évoque auprès des responsables de rédaction de la revue Historiens Géographes, Louis François, inspecteur général puis doyen de 1945 à 1973, insiste sur les perspectives pratiques de cet enseignement. La classe pouvait, selon lui, être transformée en « club ».[20] L’instruction civique se devait d’établir ce que d’aucuns appellent aujourd’hui un rapport de proximité entre les enfants et leur environnement politique et social, non un rapport de com­plicité, mais un rapport scolaire, impliquant donc, dans l’opacité du présent, un regard théoriquement prudent et critique.

Un enseignement moral

La morale est l’une des composantes essentielles de l’instruction civique. On sait qu’en France, la morale était un des objectifs fondamentaux de l’école laïque et républicaine. Elle se substituait à l’enseignement religieux. Le titre des pro­gram­mes de 1887 est éloquent : « instruction morale et civique ».[21] Il s’agissait d’inculquer « les principales vertus individuelles et les principaux devoirs de la vie sociale », devoirs envers « la famille, les parents, les serviteurs, la patrie », et, jusqu’en 1923, devoirs « envers Dieu ».[22] Il s’agissait de « fortifier, enraciner dans l’âme des élèves, pour toute la vie, en les faisant passer dans la pratique quoti­dienne, ces notions essentielles de moralité humaine, communes à toutes les doc­trines et nécessaires à tous les hommes civilisés ».[23] D’usage courant, l’adjectif civilisé, employé ici, avait deux sens : d’une part, on entendait par hommes civili­sés ceux qui étaient capables de vivre ensemble en harmonie dans la cité, qui étaient à même d’être gouvernés et de gouverner par la raison ; d’autre part, la notion était restrictive ; on pensait qu’il n’y avait qu’une seule sorte de civilisation et, dans le contexte de la colonisation, que seules, les sociétés européennes (ici la société française) étaient parvenues à cet âge de raison. Il y avait donc confusion entre universel et universalisme, entre ce qui relève effectivement de la raison, et ce qui n’est qu’une représentation du monde autour et à partir de soi, une repré­sentation de sa puissance. Selon les programmes de 1887, les instructions civiques et morales n’étaient véritablement associées que dans les grandes classes, au moment où, « approchant de la majorité », les jeunes gens « avaient avoir à faire acte de citoyen ».[24] Maturité individuelle et maturité des sociétés étaient donc confondues.

En Allemagne, la question des devoirs envers Dieu ne se posait pas, de même que ne se posait pas la question de la laïcité de l’État. Il était entendu que la for­mation religieuse et morale faisait partie intégrante du cursus scolaire. Les projets d’écoles pluriconfessionnelles regroupant les élèves dans des cours communs, sauf pour les cours de religion, avancés par les socialistes au début de la Républi­que de Weimar, soulevèrent une tempête de protestations.[25] Les instructions prus­siennes de 1927 spécifiaient que l’enseignement civique et historique devait démontrer que l’intérêt de chacun était lié à l’intérêt de tous. La dimension civi­que de l’enseignement historique était son apprentissage humanisateur. Sa dimen­sion philosophique était déclarée : elle consistait à développer l’idée de responsa­bilité de l’individu devant l’histoire.[26] Cette idée, défendue dès 1926 par l’historien Erich Weniger, fut reprise dans son livre publié en 1949, Neue Wege im Geschichtsunterricht.[27] Une des premières préoccupations de l’auteur était la lutte contre le désenchantement. Weniger constatait le désespoir de la jeunesse. Il dénonçait les bruits de sabotage et de trahison. Il fallait certes que le peuple alle­mand assumât sa propre historicité, qu’il fût doué d’une conscience historique, mais il fallait aussi se garder d’un enfermement dans un complexe de culpabilité collective.[28] Il fallait promouvoir une morale positive, l’optimisme et le courage dans l’action. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Weniger proposait non de taire mais d’enseigner, à nouveau, en la refondant, l’histoire politique de l’Allemagne et disait sa confiance dans la science, pour établir la vérité historique. Le peuple allemand avait, selon lui, encore un grand rôle à jouer dans l’histoire de l’humanité. Il n’avait pas à balancer, comme après 1918, entre « la présomption d’une surestimation maladive de soi et une introspection masochiste ».[29] Weniger n’a pas totalement inspiré les premiers programmes d’histoire de la République fédérale. L’accent n’y était pas mis essentiellement sur la formation politique des futurs citoyens allemands. Les objectifs généraux étaient ceux de l’humanisme chrétien : il s’agissait de raconter l’histoire des hommes, responsables de leurs actes devant Dieu. La formation du citoyen allemand était d’abord et avant tout, une formation morale générale. Plus que d’une morale politique à proprement parler, il s’agissait d’une morale humaniste et sociale qui devait prémunir contre les dangers du nationalisme et de la guerre civile.

Nous retrouvons les mêmes accents dans les programmes français d’instruction civique de 1945 et 1948.[30] Il fallait promouvoir « les disciplines individuelles, les vertus professionnelles, la vie en groupe (classe, famille, cité) ». La lutte contre le désenchantement était aussi la préoccupation des responsables français de l’éducation. La situation de la France était certes beaucoup moins désespérée que celle de l’Allemagne. Cependant, il y avait fort à faire après la période de l’État français et de l’Occupation, après des années où contourner la loi pouvait signifier à la fois et de manière contradictoire, sauver sa peau, faire du marché noir ou risquer la résistance, après des années où l’on désobéissait par immoralité ou parce que, tout au contraire, on était animé par des valeurs morales et civiques primordiales. Les premiers Bulletins officiels de l’Éducation Nationale dénonçaient les monômes, les chahuts destructeurs qui se déroulaient dans les classes.[31] Il fallait retrouver le sens de la solidarité nationale et de la solidarité humaine. Les programmes d’instruction civique mettaient en garde contre la «fausseté des idéologies, le fascisme, le racisme».[32] Il fallait à la fois développer une éthique humaniste et une morale civique, lutter contre le désespoir résultant du spectacle et de l’expérience de la barbarie pendant la Seconde Guerre mon­dia­le. Il ne fallait pas non plus penser que l’homme pût jamais être dépassé par l’ampleur des progrès techniques qu’il avait engendrés. Les deux bombardements atomiques avaient provoqué un choc considérable dans l’opinion. Les instructions françaises rejoignaient donc les instructions allemandes mais s’en écartaient cependant par leur caractère plus nettement politique, contingent et territorial. La logique humaniste allait de pair avec la logique nationale et républicaine et avec la logique internationale. L’instruction était à la fois morale et « civique », au sens où elle devait préparer des « démocrates véritables ».

Citoyenneté et identité nationale

La promotion d’une morale politique relève certes de l’universel. L’homme, selon la définition aristotélicienne, est bien, en général, un animal politique. Mais l’acception contemporaine du citoyen est restrictive par son inscription dans le cadre territorial borné des États modernes. Sous la IIIe République, en France, la confusion était totale entre nationalité comme définition identitaire, et citoyenneté comme processus d’émancipation politique. Alain Mougniotte a démontré que les manuels d’instruction civique publiés avant la Première Guerre mondiale visaient surtout à répandre un sentiment national, une culture d’appartenance et son corol­laire, une culture d’exclusion du non-national, une culture de guerre.[33] Il n’est pas nécessaire d’insister sur la tonalité nationaliste et revancharde de ces manuels. Au nationalisme était joint le militarisme. Le thème du service militaire comme devoir envers la patrie était toujours présent et illustré. Le citoyen français était exclusivement de sexe masculin. C’était un hoplite républicain, prêt pour la guerre.

En Allemagne, l’idée d’instruire de futurs citoyens et non pas seulement de futurs Allemands était loin de faire l’unanimité au début de la République de Weimar. Ernst Lehmann s’interrogeait, en 1923, dans les colonnes de la revue Vergangenheit und Gegenwart[34], sur l’application par les Allemands du modèle français d’instruction civique. Cette « discipline » était présentée comme un trait de la culture française qui, certes, devait à Montaigne, Helvetius et Talleyrand mais qui, incontestablement, développait en même temps la haine de la Prusse et de l’Allemagne. Selon ce professeur allemand, l’instruction civique en France, sous la IIIe République, voulait promouvoir avant tout la cohésion nationale ; elle était associée à la préparation militaire dans les écoles primaires comme dans les écoles normales où l’on formait les instituteurs. Les Allemands ne devraient donc rien à ce modèle jugé trop nationaliste. Ils auraient du reste pratiqué la for­mation politique, eux aussi et à leur manière, depuis le XVIIIe siècle : où l’on retrouve les ingrédients ordinaires de la culture de guerre.

Les tentatives de réforme de l’enseignement historique, auxquelles l’éducation civique était rattachée, ont échoué. La réforme du ministre prussien Haenisch, qui consistait à interdire l’usage des manuels d’histoire du Second Reich, jugés trop militaristes et nationalistes, a rencontré l’opposition résolue de la majorité des professeurs allemands.[35] En 1919, Paul Rühlmann et Fritz Friedrich protestèrent énergiquement contre cette tentative de « révolution » de l’enseignement historique allemand[36] : les Allemands n’étaient pas plus chauvins que les Français. Il fallait continuer à honorer la mémoire de Bismark et des Hohenzollern. Pour résister à un aggiornamento de l’enseignement historique, les professeurs utilisaient l’image forte et romantique des Göttinger Sieben, ces pro­fesseurs libéraux renvoyés de leurs chaires, dans les années 1830, parce qu’ils s’opposaient à la politique absolutiste du roi de Hanovre qui mettait en question la constitution. Cette référence à une page libérale de l’histoire allemande semble paradoxale dans la mesure où les professeurs d’histoire de la période de Weimar, dans leur majorité, sont restés conservateurs et peu enclins à défendre et à conso­lider la république. Elle s’explique par le fait que les Göttinger Sieben étaient aussi devenus, dans la mémoire officielle, les parangons de la défense nationale. À l’époque de la République de Weimar, on pouvait certes consentir à la réconci­liation des peuples inscrite dans la constitution, mais on n’était pas prêt à renoncer au Sonderweg, à la voie particulière allemande, cette propagande développée sous le Second Reich, selon laquelle les Allemands ne devaient rien au modèle révolu­tionnaire français ni même au modèle libéral anglais. Dans ces conditions, l’instruction du citoyen, jugée comme un modèle culturel venu de l’étranger, et qui plus est, de l’ennemi, était en Allemagne superflue voire incongrue. Comme on avait imposé la République aux Allemands, on voulait aussi leur imposer un mode d’instruction auquel les professeurs, dans leur majorité, opposaient une résistance nationale. Au contraire de la France, l’instruction du citoyen paraissait incompatible avec la mythologie nationale. Héritiers d’une culture forgée depuis la fin du XVIIIe siècle, les professeurs se ralliaient à la théorie ethnique de la nation.[37] Leur mouvement de défense identitaire allait de pair avec une défiance systématique vis-à-vis du politique, donc de toute forme d’enseignement politi­que, parce qu’il était considéré comme potentiel de manipulation.

Le ralliement des enseignants à l’idée de démocratie fut beaucoup plus important au début de la République fédérale. Si l’on se défiait toujours d’un pro­gramme et d’un horaire spécifiques d’instruction civique « à la française », on considérait désormais comme indispensable d’éduquer le peuple allemand « à la démocratie ». Les programmes des différents Länderabandonnèrent le mythe du Sonderweg ; l’histoire allemande était en quelque sorte réintégrée dans l’histoire européenne. Les manuels d’histoire allemands ancraient la mémoire nationale dans une tradition libérale qui remontait au XIXe siècle.[38] La Paulskirche et le Parlement de Francfort de 1848, symboles de légitimation d’une nation élaborée par la discussion et non par la guerre et la conquête, devinrent les lieux de mémoire des démocrates allemands. Le nazisme, qui n’était pas occulté dans les manuels, était présenté comme une sorte de discontinuité de l’histoire allemande. Les différentes formes de résistances (surtout chrétiennes et militaires en R.F.A., exclusivement communiste en R.D.A.) étaient valorisées. Les Allemands étaient finalement faits pour la démocratie, ni plus ni moins que les autres peuples. Des thèmes transversaux d’histoire générale des civilisations étaient dégagés, une approche qui devait permettre d’éduquer à la paix. La Heimat, la petite patrie locale, demeurait, comme au début du siècle, le lieu d’apprentissage privilégié de la vie en société, un lieu où pouvait se maintenir et être même cultivé, un senti­ment d’appartenance en concordance avec le fédéralisme, devenu caractéristique fondamentale de la démocratie allemande.

Les programmes français d’instruction civique de 1945 ne renonçaient pas non plus à développer l’amour de la petite patrie, l’attachement à la terre natale. Il s’agissait encore de promouvoir « la solidarité nationale », le « sentiment natio­nal », « les devoirs envers la nation » et même, « l’acceptation du sacrifice ». La France était toujours identifiée à une « personne ».[39] Le mythe national français, revigoré par la résistance, non encore écorné par la décolonisation, gardait sa place. On mettait cependant en garde contre « l’esprit de clocher » et, nommé­ment, contre « le nationalisme ».[40] Comme en Allemagne, on développait l’idée de solidarité humaine, en s’appuyant plus nettement cependant sur la définition d’une politique internationale. Les programmes de 1948 insistaient sur la « mémoire » des soldats des deux guerres mondiales et des résistants et invitaient en même temps à étudier la S.D.N. et l’O.N.U.[41] L’émergence de la démocratie y était ins­crite dans un contexte qui, à la différence de celui des programmes de la IIIe République, n’était plus exclusivement franco-français. L’étape initiale des con­quêtes de la liberté se situait en Angleterre, avec l’ Habeas Corpus. Les instructi­ons françaises de 1945 et 1948 prenaient une tonalité plus démocratique que républicaine. La conception même de la démocratie avait changé. Dans les débats politiques toujours aussi ambigus qui caractérisaient la culture de guerre froide, il ne s’agissait plus seulement de former un futur acteur politique mais aussi un acteur économique et social : aux droits politiques s’ajoutaient les exigences de « justice sociale ». La démocratie n’avait plus un sens strictement politique, elle était devenue une aspiration sociale.

L’expérience douloureuse des deux guerres mondiales a donc amené à mettre en question la confusion entre identité nationale et citoyenneté. À la conception restrictive et localisée du citoyen, à la suggestion de liens principalement affectifs unissant l’homme à sa patrie, s’est ajoutée, très progressivement, une conception plus intellectuelle et universelle de l’homme comme citoyen du monde. Le paci­fisme militant de l’entre-deux guerres, répandu à la fois dans l’opinion allemande et dans l’opinion française, est devenu un trait commun de la culture politique officielle des États européens après 1945.[42] Un manuel d’histoire du second degré de 1951 illustre cette évolution.[43] Sous une photographie représentant une réunion de la jeunesse européenne autour du rocher de la Lorelei, il est écrit : « Les États et les peuples européens sont devant la question de savoir s’ils veulent renoncer à des objectifs d’intérêt personnel et à une partie de leurs prérogatives, et se retrou­ver au sein d’une communauté vivante. Le nouvel État allemand a proclamé qu’il y était fondamentalement disposé ». Est-ce à dire que l’éducation civique s’était débarrassée de toute forme de mythologisation ?

En Allemagne comme en France, les objectifs civiques de l’enseignement du premier XXe siècle furent contradictoires en ce qu’ils opposaient deux logiques, celle de l’intérêt collectif et celle de l’intérêt individuel, celle de la conformation et celle de l’émancipation. Cette opposition sous-tend tous les débats qui concer­nent l’instruction mais elle prend un tour particulièrement vif à l’endroit de l’éducation civique. En instruisant les futurs citoyens de leurs institutions, en leur donnant connaissance des rouages de la République, les législateurs français s’inscrivaient bien dans une logique d’émancipation.[44] Condorcet soulignait ce rapport fondateur entre instituteur et institution. L’instruction civique était la condition de l’exercice possible de la démocratie au sens premier du terme, c’est-à-dire, du gouvernement du peuple par le peuple, d’un peuple instruit, donc, des choses du gouvernement. Mais, sous la IIIe République, il y avait projet à la fois de politisation et d’idéologisation de la société française : il ne s’agissait pas tant d’initier au libre jugement des choses politiques que de créer des liens d’allégeance à la France et à la République, une république qui était vue comme fin d’une histoire rédemptrice commencée en 1789. Il s’agissait moins d’émanciper que de conformer les citoyens à un nouveau modèle politique, d’en faire une armée de croyants.

Mêmes ambiguïtés dans les objectifs des instructions de la République de Weimar : opposition entre conformation nationale et propédeutique politique, ambiguïté des termes (Gemeinschaft, communauté tissant des liens non définis d’appartenance au groupe, ou Gesellschaft, société, terminologie beaucoup plus neutre). Les nationalistes français arguaient du maintien du mot Reich pour dénoncer le côté factice de la jeune démocratie allemande. C’était méconnaître que le mot Reich signifiait à la fois empire (au sens de régime impérial) et État.[45] La République de Weimar manquait d’ancrage historique. La tentative de politi­sation de la société allemande était vue par l’opinion et par les professeurs comme une nouvelle atteinte à l’identité des Allemands, déjà humiliés par le Traité de Versailles. La crainte des débats politiques faisait aussi écho à celle des divisions idéologiques dramatiques qui opposaient les Allemands. L’éducation nationale semblait préférable à l’éducation politique en ce qu’elle permettait de maintenir un consensus social.

L’expérience douloureuse des deux guerres mondiales et des totalitarismes a modifié les conceptions de l’instruction civique. Culture nationale et politique, république et démocratie n’ont plus été systématiquement confondues en France, sous la IVe République. Sous la République fédérale, la promotion d’une con­science plus historique et politique que territoriale allait de pair avec la division, pour une période de quarante ans, de l’État-nation allemand. Le ralliement à la démocratie et des Allemands et des Français préparait la réconciliation des deux peuples. Du point de vue de la philosophie politique on ne peut que concéder à l’idée de progrès. L’application de la démocratie à des sociétés de masse est un pari ambitieux et risqué. Dans ce processus long et difficile, les directives pour l’instruction du citoyen des républiques allemande et française du dernier siècle font donc figure de prolégomènes. La reconnaissance sans équivoque de la néces­sité d’une formation politique à partir des années 1950 est aussi un trait du mou­vement général de sécularisation des sociétés européennes. Mais sécularisation n’est pas désacralisation. L’éducation politique est particulièrement sujette à idéologisation. Quel sens donner par exemple au mot si galvaudé de démocratie ? S’agit-il de l’exercice du pouvoir politique ou de l’espérance toujours renouvelée d’une amélioration de la société ? S’agit-il d’une pratique politique ou d’un des nombreux travestis de la quête du Salut ? Le mythe démocratique semble en fait avoir remplacé ou digéré le mythe national. Erich Weniger s’en inquiétait lorsqu’il appelait à une réelle « démythologisation de l’enseignement de l’histoire en Allemagne » qui impliquerait que « démocratie, socialisme, réconciliation des peuples » ne soient pas seulement « des mots », des « mots d’ordre ».[46]



[1] Nous n’engageons pas ici de réflexion sur le débat opposant ceux qui défendaient l’éducation (Erziehung), à caractère plus utilitaire, et ceux qui défendaient l’instruction (Bildung), à caractère plus intellectuel, un débat qui traverse l’histoire moderne et contemporaine. Le projet d’une éducation ou instruction spécifiquement politique donnait un ton particulièrement vif au débat, à l’époque de la Révolution française. Le rapport Romme de décembre 1792 plai­dait explicitement pour les deux nécessités: « L’instruction sans éducation donne les talents de l’orgueil […] l’éducation sans instruction ne peut former que des habitudes et conduire à des préjugés » (cité par Baczko, Bronislaw, Une éducation pour la démocratie. Textes et pro­jets de l’époque révolutionnaire, Paris 1982, p. 251). Rejetant explicitement le terme d’instruction, les textes officiels français de 1999, qui accompagnent la mise en place d’une Éducation civique, juridique et sociale dans les lycées (voir Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale, n° 5, 5 août 1999, p. 4–7) ont au moins le mérite d’être clairs sur ce point.

[2] Voir Marrou, Henri-Irénée, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, 6ème éd., Paris 1981.

[3] Nous excluons à cet égard le préjugé nationaliste, répandu à l’époque, selon lequel les Fran­çais, en raison de leurs expériences révolutionnaires, auraient été les pionniers de l’instruction civique. Comme l’écrit Thomas Nipperdey : « Partir de l’idée qu’un peuple se constitue par la langue et la culture n’est pas plus antidémocratique que de le fonder sur la citoyenneté volontariste du peuple », in : idem, Réflexions sur l’histoire allemande, Bibliothèque des histoi­res, Nouvelle Revue Française (dir.), Paris 1992, p. 174.

[4] Baczko (note 1).

[5] Mougniotte, Alain, Les débuts de l’instruction civique en France, Lyon 1991, p. 56.

[6] Ibid., p. 57–58 et 67–111.

[7] Voir Programme d’initiation à la vie sociale (instruction morale et civique) pour les classes du premier cycle et Circulaire du 10 mai 1948, in : Historiens Géographes n° 359 (1997), p. 133–140.

[8] Voir Peyrot, Jean, Libres regards sur une histoire, in : Historiens Géographes n° 359 (1997), p. 112.

[9] Richtlinien für die Lehrpläne der höheren Schulen Preußens (1927), p. 164–173, 372–384.

[10] À titre d’exemples : Rühlman, Paul, Die Frage der staatsbürgerlichen Erziehung im Verfassung­sauschu, p. 109–160; idem, Briefwechsel zwischen den Herausgebern über die Frage des staatsbürgerlichen Fachunterrichts, p. 177–208 (1919) ; Lötschert, Hugo, Anknüp­fungspunkte im Geschichtsunterricht für die Erziehung zum Gedanken des Völkerbundes, p. 10–48 ; Seipp, Heinrich, Das Referendum, p. 49–59 ; Hedler, Adolf, Und nun erst recht Bür­gerkunde !, p. 60–64 (1920) ; Barschak, Erna, Zur Frage des staatsbürgerlichen Unter­richts an Lyzeen, Oberlyzeen und Studienanstalten, p. 107–115 ; Zopes, Josef, Erziehung zur Rechts­versöhnlichkeit, p. 116–144 ; Dreler, Bruno, Staatsbürgerliche Erziehung in England, p. 193–205 ; Bauerschmidt, Hans, Staatsbürgerliche Bildung und Erziehung, p. 232–268 (1921) ; Berend, Karl, Über Erziehung zu politischem Verständnis, p. 9–16 ; Lehmann, Ernst, Der bürgerkundische Unterricht in französischen und deutschen Schulen, p. 28–64 ; Hauleiter, Otto, Über die akademische Vorbildung zur Lehrbefähigung im Fach der Staats­bürgerkunde an höheren Schulen, p. 141–193 ; Hohmann, Walther, Erziehung zur Toleranz, p. 201–208 ; Bauerschmidt, Hans, Staatsbürgerkunde Bildung und Erziehung, p. 235–241 (1923).

[11] Gehring, Hansjörg, Reformsätze im bayerischen Schulwesen während der amerikanischen Besatzungszeit (1945–1949). Lehrplanänderungen und Schulbuchüberprüfungen, in : Inter­nationale Schulbuchforschung, Zeitschrift des Georg-Eckert-Instituts (1980), p. 46–56. Cette étrange conjugaison entre humanisme et esprit de soumission peut expliquer que l’humanisme, valeur d’abord positive, ait pris une connotation négative du genre : huma­nismetraditionconservatismetrait de culture bourgeoise, etc. (voir Bourdieu, Pierre ; Passeron, Jean-Claude, La reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseigne­ment, Paris 1971).

[12] Solchany, Jean, Comprendre le nazisme dans l’Allemagne de l’année zéro, Paris 1997.

[13] Ces deux tendances sont illustrées par deux personnalités éminentes qui marquèrent la recons­truction de l’enseignement historique allemand après la Seconde Guerre mondiale : la première par Georg Eckert, membre du SPD, officier qui protégea la population grecque de la sauvagerie de la répression, fondateur de l’Institut pédagogique de Braunschweig qui est devenu un Centre de recherche international et qui porte aujourd’hui son nom ; la seconde, par l’historien Erich Weniger qui, depuis la République de Weimar, défendait l’idée que l’école avait un rôle fondateur pour la démocratie allemande. Sur ces deux approches, voir Kuss, Horst Alfred, Erich Weniger und die « neuen Wege » im Geschichtsunterricht, in : Geschichte in Wissenschaft und Unterricht (1988), p. 476–485.

[14] Compte rendu de la Conférence d’harmonisation des Kultusminister en BRD, GMBI (1956), p. 221–227.

[15] Compte rendu in : Geschichte in Wissenschaft und Unterricht, p. 42–45.

[16] À titre d’exemples : Haag, Erich, Die Schule als Feld vorpolitischer Erziehung, p. 6–18 (1951) ; Bayer, Erich ; Messerschmid, Felix, Zur Problematik des Geschichtsunterrichts, p. 547–561 ; Wilmanns, Ernst, Zur Frage der Auswahl des Geschichtlichen Lehrstoffes, p. 668–680 ; Kruger, Karl, Die Lehrpläne für den Geschichtsunterricht an den höheren Schu­len der westdeutschen Länder, p. 715–750 (1952).

[17] Historiens Géographes (note 7), p. 225.

[18] Richtlinien (note 9).

[19] Historiens Géographes (note 7), p. 134–135.

[20] Ibid., p. 161. Citons ce passage très saisissant de l’entretien : « Il faut passionner les élèves pour la réalité et pour les prouesses techniques au service des hommes. La monnaie, l’organisation économique, la solidarité internationale : étudier tout ça forme l’avis du citoy­en », p. 157.

[21] Historiens Géographes (note 7), p. 123. L’ enseignement moral de la IIIe République est d’inspiration kantienne et spiritualiste : il affirme le primat de l’esprit sur le corps et la matière et intègre l’idée d’immortalité. Voir Ognier, Pierre, La laïcité scolaire dans son histoire, in : Baubérot, Jean ; Gauthier, Guy ; Legrand, Louis ; Ognier, Pierre (dir.), Histoire de la laï­cité, Besançon 1994, p. 87.

[22] Historiens Géographes (note 7), p. 126.

[23] Ibid., p. 123.

[24] Ibid., p. 128.

[25] Wahl, Alfred, Cultures et mentalités en Allemagne 1918–1960, Paris 1988, p. 44–45.

[26] Voir Richtlinien (note 9).

[27] Weniger, Erich, Neue Wege im Geschichtsunterricht, 3ème éd., Francfort-sur-le-Main 1965.

[28] La culpabilité (Schuld) est cependant devenue un « lieu de mémoire allemand ». Née du pié­tisme, elle se retrouve dans la légende du coup de poignard dans le dos (Dolchstoß-Le­gende) et se fixe surtout autour d’Auschwitz. Voir Lehmann, Hartmut, Der Pietismus ; Krumeich, Gerd, Die Dolchto-Legende ; Reichel, Peter, Auschwitz, in : François, Étienne ; Schulze, Hagen (dir.), Deutsche Erinnerungsorte, München 2001, p. 571–621.

[29] Weniger (note 27), p. 21.

[30] Historiens Géographes (note 7), p. 133–140.

[31] Il n’y a pas de Bulletin Officiel avant 1944. Auparavant, de 1920 à 1932, on se référait au Bulletin Administratif de l’Instruction Publique, puis, de 1932 à 1944, à l’Information Uni­versitaire. Les premiers B.O. se préoccupèrent d’abord de réintégrer le personnel exclu par le Régime de Vichy et d’abolir ses réformes. Le numéro de janvier 1945 interdisait les monô­mes, les brimades subies par les surveillants et dénonçait « cette incroyable inconscience au moment où les autres se battent pour délivrer l’Allemagne ». La conférence de Jean Gue­henno sur : L’université dans la résistance et la France nouvelle, reproduite dans le numéro de juin 1945, disait en substance : « Tout ce que nous sommes chargés d’enseigner nous arme contre la tyrannie si notre rôle est d’enseigner l’humanité et le progrès ». 

[32] Historiens Géographes (note 7), p. 135.

[33] Mougniotte (note 5). La culture de guerre, « les représentations des hommes et des femmes qui ont vécu la tragédie de 1914–1918 », le « consentement à la guerre » (voir Audoin-Rou­zeau, Stéphane ; Becker, Annette, Violence et consentement : « la culture de guerre » du premier conflit mondial, in : Rioux, Jean-Pierre ; Sirinelli, Jean-François (dir.), Pour une his­toire culturelle, Paris 1997, p. 251–253) s’enracinent dans un processus antérieur, dans l’appropriation collective d’un sentiment national dont l’école a été un des vecteurs essentiels.

[34] Lehmann (note 10).

[35] Huhn, Jochen, Geschichtsdidaktik in der Weimarer Republik, in : Bergmann, Klaus ; Schneider, Gerhard (dir.), Gesellschaft, Staat, Geschichtsunterricht. Beiträge zur Geschichte der Geschichtsdidaktik und des Geschichtsunterrichts, Düsseldorf 1982, p. 218–260.

[36] Vergangenheit und Gegenwart (note 10).

[37] Référence à Herder, in : Dumont, Louis, Homo aequalis II. L’idéologie allemande. France–Allemagne et retour, Bibliothèque des Sciences humaines, Nouvelle Revue Française, Paris 1991, p. 25.

[38] À titre d’exemples : Geschichtliches Unterrichtswerk. Geschichte der Neuesten Zeit, Lehrmit­tel Verlag, Offenburg 1951 ; Geschichtliches Unterrichtswerk. Die Neueste Zeit, Schroedel, Hannover 1956 ; Grundriss der Geschichte. Von 1850 bis zur Ge­genwart, Klett, Stuttgart 1958.

[39] Voir note 7.

[40] Ibid., p. 133–137. Selon une curieuse interprétation, on a longtemps prétendu que l’école républicaine française avait voulu « tuer » les cultures locales, à preuve, la lutte déclarée contre les patois. La lecture sans a priori des instructions montre cependant que l’histoire locale était tout au contraire recommandée. Les instituteurs ont du reste largement contribué à l’archiver et à la préserver. (voir Chanet, Jean-François, L’école républicaine et les petites patries, Paris 1996.)

[41] Historiens Géographes (note 7), p. 137–140.

[42] La critique du chauvinisme et du nationalisme des manuels scolaires a commencé dans les pays scandinaves et dans le contexte des réunions de la Seconde Internationale dès les années 1880. Elle a été poursuivie, dans l’entre-deux-guerres, dans le cadre de la S.D.N. On ne sau­rait passer sous silence le rôle pionnier, en France, de Jules Isaac, qui fut le premier à prati­quer le comparatisme et à introduire, dans ses manuels du second degré, la double interpréta­tion allemande et française, des causes de la guerre de 1870 (voir Riemenschneider, Rainer, Intentionen und Perspektiven internationaler Schulbuchforschung, in : Internationale Schul­buchforschung, Zeitschrift des Georg-Eckert-Instituts, 1981 p. 5–15, et, idem, An der Schwelle zur Wiederaufnahme der deutsch-französischen Schulbuchrevision, in : Internatio­nale Schulbuchforschung, Zeitschrift des Georg-Eckert-Instituts, 1981, p. 72–79).

[43] Collection Geschichtliches Unterrichtswerk (note 38).

[44] Le discours scolaire des régimes autoritaires et totalitaires privilégie toujours au contraire l’oblitération et la simplification. Les directives de l’État français entre 1940 et 1944 font peu de place à l’explication des rouages de l’État, étude jugée trop rébarbative (voir Historiens Géographes [note 7], instructions accompagnant les programmes de 1941, p. 130–131). Les mêmes références à l’émotion et à l’obéissance, contraires à l’éducation à la raison et à l’autonomie individuelle, se retrouvent dans les conceptions qu’avait Hitler de l’enseignement de l’histoire (voir Bauvois Cauchepin, Jeannie, Le discours historique des instructions et des manuels scolaires du second degré au temps du Maréchal, in : Dereymez, Jean-William (dir.), Être jeune en France 1939–1945, Paris 2001, p. 156–157, et Bauvois Cauchepin, Jeannie, Enseignement de l’histoire et mythologie nationale. Allemagne–France du début du XXe siècle aux années 1950, Bern 2002, p. 100–108 et 144–150.

[45] Voir Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, in : Cahiers des Annales (1961), p. 82. Marc Bloch a fait la critique de l’usage erroné que font ordinairement les Français de ce terme.

[46] Weniger (note 27), p. 48.

Für das Themenportal verfasst von

Jeannie Bauvois Cauchepin

( 2007 )
Zitation
Jeannie Bauvois Cauchepin, Apprendre à être citoyen dans les républiques allemandes et française du premier XXe siècle, in: Themenportal Europäische Geschichte, 2007, <www.europa.clio-online.de/essay/id/fdae-1439>.
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