Le libéralisme de gauche allemand et le radicalisme français 1866/68-1914

Jedes Land hat ein eigenes politisches System, das auf seine Geschichte und Kultur zurückgeht. Auch wenn Vergleiche daher schwierig sind, erlauben sie dennoch Inhalte, Einflüsse und, in einigen Fällen, gemeinsames Handeln auf internationaler Ebene aufzuzeigen. Die deutschen Linksliberalen und französischen Radikalen forderten ab den 1860er Jahren die Einführung eines modernen, repräsentativen Staatswesens, wirtschaftliche Freiheit, sozialen Fortschritt, die Trennung von Kirche und Staat, die Laizität der Schulen. Darüber hinaus stellten die Ausweitung des Kolonialreichs oder die Armee auf beiden Seiten Streitfragen dar. Die französischen Radikalen sahen sich als die geistigen Erben der Ideen von 1789, die deutschen Linksliberalen als die Hüter der Ideen von 1848. Die politische Entwicklung in Frankreich und Deutschland verlangte von beiden Gruppierungen eine Anpassung ihrer Grundsätze, um eine gewisse strategische Offenheit zu bewahren.[...]

Le libéralisme de gauche allemand et le radicalisme français, 1866/68–1914

Von Philippe Alexandre

Chaque pays a un système de partis politiques qui lui est propre parce qu’il est lié à son histoire et à sa culture. Pour difficiles qu’elles soient, les comparaisons n’en permettent pas moins de mettre en évidence des points de doctrine communs, des influences et, dans certains cas, des actions communes au niveau international. Les libéraux de gauche allemands et les radicaux français ont demandé, dès les années 1860, l’instauration d’un régime représentatif moderne, la liberté économique, le progrès social, la séparation des Églises et de l’État, la laïcité de l’école. D’autres questions, comme l’expansion colo­niale ou l’armée, ont fait de part et d’autre l’objet de controverses. Les radicaux français revendiquaient l’héritage des idées de 1789, les libéraux de gauche allemands se sen­taient dépositaires des idées de 1848. L’évolution politique de la France et de l’Allemagne a fait des deux mouvances des réalités multiformes, les uns et les autres ont dû adapter leur doctrine pour se ménager des ouvertures stratégiques. La différence essentielle réside toutefois dans le fait que les radicaux français ont été au pouvoir sous la Troisième République alors que les libéraux de gauche allemands, même s’ils peuvent apparaître comme les dépositaires d’une certaine tradition démocratique en Allemagne, sont restés dans l’opposition au niveau national. Force est de constater qu’en dehors du cadre du pacifisme international et de l’Union interparlementaire, radicaux français et libéraux de gauche allemands ne se sont que très peu souvent créé des occasions de se rencontrer.

Jedes Land hat ein eigenes politisches System, das auf seine Geschichte und Kultur zu­rückgeht. Auch wenn Vergleiche daher schwierig sind, erlauben sie dennoch Inhalte, Einflüsse und, in einigen Fällen, gemeinsames Handeln auf internationaler Ebene aufzu­zeigen. Die deutschen Linksliberalen und französischen Radikalen forderten ab den 1860er Jahren die Einführung eines modernen, repräsentativen Staatswesens, wirtschaft­liche Freiheit, sozialen Fortschritt, die Trennung von Kirche und Staat, die Laizität der Schulen. Darüber hinaus stellten die Ausweitung des Kolonialreichs oder die Armee auf beiden Seiten Streitfragen dar. Die französischen Radikalen sahen sich als die geisti­gen Erben der Ideen von 1789, die deutschen Linksliberalen als die Hüter der Ideen von 1848. Die politische Entwicklung in Frankreich und Deutschland verlangte von beiden Gruppierungen eine Anpassung ihrer Grundsätze, um eine gewisse strategische Offenheit zu bewahren. Der grundlegende Unterschied zwischen beiden besteht in der Tatsache, dass die französischen Radikalen unter der III. Republik an der Macht waren, während die deutschen Linksliberalen auf nationaler Ebene immer in der Opposition blieben, auch wenn sie als Wahrer einer bestimmten demokratischen Tradition in Deutschland gelten können. Es bleibt dennoch festzuhalten, dass die französischen Radikalen und deutschen Linksliberalen außerhalb der Strukturen des internationalen Pazifismus und der inter­parlamentarischen Union selten die Gelegenheit zum Zusammentreffen suchten.

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Problématique d’uneétude comparatiste de deux mouvances politiques dans leurs contextes nationaux

L’étude comparatiste de partis ou de mouvances politiques de deux pays est une entreprise qui confronte celui qui s’y risque à un certain nombre de difficultés méthodologiques.[1] Le système des partis politiques de chacun de ces deux pays présente, quelle que soit l’époque considérée, un nombre de particularités tel que l’on pourrait être, d’emblée, tenté de se poser la question de l’utilité d’une telle étude. L’intérêt semble essentiellement résider dans le fait qu’elle contribue à mettre en évidence les particularités de ces deux systèmes nationaux et apporte, du même coup, un éclairage différent sur l’histoire des idées politiques dans l’un et l’autre des deux pays. Une telle démarche n’est, en outre, possible que s’il existe des points de doctrine communs, voire des similitudes dans les structures ainsi que dans l’ancrage social des partis concernés, tout en sachant que les cliva­ges politiques sont nécessairement différents d’un pays à l’autre et qu’il ne peut y avoir de comparaison possible s’agissant de l’ancrage géographique des forma­tions politiques. Des références, voire des influences, surtout si elles sont récipro­ques, ainsi que des actions communes au-delà des frontières ne pourraient que renforcer la légitimité d’une telle comparaison. Mais ces références et ces actions existent-elles, abstraction faite des socialistes ?

Si un rapprochement peut être fait entre le « libéralisme de gauche allemand » et le « radicalisme » français, c’est bien en raison de points communs dans leurs bases doctrinales : instauration d’un régime représentatif moderne, liberté écono­mique, progrès social, séparation des Églises et de l’État, laïcité de l’école. D’autres questions telles que l’armée ou l’expansion coloniale ont été, d’un côté comme de l’autre, au cœur de discussions internes et ne peuvent être considérées comme des points communs ; de même, le pacifisme a suscité des réactions très différentes parmi les libéraux de gauche allemands et les radicaux français.[2] Les partis et les mouvances politiques évoluent dans un contexte national qui en dé­termine l’histoire. Ainsi, dans l’Allemagne de la seconde moitié du XIXe siècle, les uns et les autres se définissent dans une large mesure par leurs positions sur la question nationale, par l’adhésion aux idées de la Révolution de 1848/49 ou par le rejet de celles-ci, par leur réaction face à la victoire qui, en 1866, permet à la Prusse d’évincer l’Autriche, sa rivale, puis par rapport au nouvel Empire fondé en 1871. La politique intérieure de Bismarck qui, à partir de 1878/79, prend une option conservatrice et écarte les libéraux du pouvoir, la « question sociale » et la montée en force du mouvement ouvrier organisé, l’impérialisme et la « Welt­politik » de Guillaume II sont des données qui modifient les rapports de force et la constellation des partis allemands. Aussi voit-on évoluer les libéraux de gauche : alors que les « quarante-huitards », déçus, se sont montrés hostiles à l’État-nation tel qu’il est né sous l’impulsion de Bismarck, la nouvelle génération se montre réaliste ; elle participe même au Bloc Bülow (1907–1909), coalition éphémère et contre nature qui rassemble les conservateurs, les nationaux-libéraux et les trois partis libéraux de gauche. Le fédéralisme et les rapports entre la Prusse et le reste de l’Empire sont également des données propres au paysage politique allemand. En France, la naissance de la Troisième République, la Commune, la défaite de 1871, la crise boulangiste puis l’affaire Dreyfus ont créé des situations propres à la vie politique française, de même que l’affrontement entre les forces républicai­nes et monarchistes, l’idée de la « revanche », la question des rapports entre les Églises et l’État ou de la décentralisation.

Ces contextes nationaux ont, nécessairement, déterminé les aspirations et les programmes de partis qui se sont dits « démocratiques », « libéraux », « progres­sistes », « radicaux » ou « républicains » en France, demokratisch, liberal, fort­schrittlich, radikal ou republikanisch en Allemagne. Les formations politiques qui avaient adopté ces prédicats avaient une histoire, des buts et des programmes différents. De sorte que le sens des termes « droite » et « gauche » ne recouvre pas tout à fait les mêmes réalités d’un pays à l’autre. De même, les constellations de partis résultant en France et en Allemagne du clivage « droite/gauche » ne pou­vaient être symétriques. Ainsi, les « démocrates rouge sang »[3] qu’étaient Friedrich Payer ou Conrad Haußmann dans le Wurtemberg n’ont pas remis en question la monarchie dans leur petite patrie, pas plus que la monarchie impériale, qu’ils voulaient toutefois voir évoluer vers le parlementa­risme. Ou encore : l’association « libéralisme de gauche » n’est-elle pas de nature à désorienter le Français pour lequel le terme « libéralisme » reste souvent syn­onyme de libéralisme économique que l’on oppose aux aspirations de la « gau­che » ?[4] Si cette association peut lui paraître antinomique, cela est sans doute dû au fait que l’on oublie que le libéra­lisme ne s’applique pas seulement à l’économie, mais qu’il a également été une tradition, commune à diverses tendan­ces politiques qui ont mené, depuis 1789, un combat pour la conquête de droits civiques, devenus depuis une évidence, mais qui constituent le fondement de notre « démocratie ».

L’étude comparatiste de partis ou de mouvances politiques de deux pays est également rendue difficile par la chronologie. Il ne peut en effet y avoir de paral­lélisme – sauf si le hasard en décide autrement – dans l’histoire des systèmes de partis politiques de deux pays. Alors qu’en France la vie parlementaire nationale commence avec la Révolution de 1789 et a pour conséquence la naissance de cou­rants politiques nationaux dès cette époque, en Allemagne, il faut attendre 1848 pour voir se constituer des fractions éphémères, puis le débat général provo­qué dans les années 1860 par la question de la formation de l’État national et, surtout, la fondation de l’Empire bismarckien en 1871 pour que naissent des partis natio­naux, ce qui n’empêche pas certains particularismes de rester vivants, du fait notamment que l’Empire allemand est un État fédéral. 1866 provoque un clivage profond dans le libéralisme allemand qui se divise alors en « libéraux de droite » et « libéraux de gauche ». En réalité, la question nationale ne fait qu’accentuer un manque d’unité qui restera un mal endémique du libéralisme allemand.[5] À la fin des années 1860 et au début des années 1870, le « libéralisme de gauche » alle­mand est lui-même affecté par une autre division : la division entre « démocratie bourgeoise » et « démocratie sociale » qui annonce la naissance du mouvement ouvrier organisé en Allemagne.[6]

Le « libéralisme de gauche » allemand englobe un certain nombre de sensibi­lités ou tendances qui peuvent prendre le nom de Radikale, si l’on fait réfé­rence au libéralisme radical d’opposition avant et après 1848, de Demokraten qui se démarquent des Liberale, c’est-à-dire d’éléments plus modérés après 1848, de Fortschrittler, surtout à partir des années 1860, de Freisinnige, terme qui désigne, dans une large mesure, les libéraux d’Allemagne du Nord.[7] Le terme « libéral de gauche » peut aussi s’appliquer à des formations locales ou nationales dont les noms ont pour déterminants Volks- ou Bürger-. C’est par exemple le cas dans le Wurtemberg où les Volksvereine et les Bürgervereine, nés en 1848 et réactivés dans les années 1860, ont donné un certain ancrage populaire à deux partis libéraux[8], les premiers à la Deutsche Volkspartei (démocrates), les seconds à la Deutsche Partei (nationaux-libé­raux). Vers la fin du XIXe siècle et plus tard, certains groupes s’organisent dans un demokratischer Verein, comme à Hambourg, en 1885. D’autres mettent l’accent sur une revendication plus particulière, comme les Bodenreformer, partisans de la réforme agraire ; d’autres encore fondent leur action politique sur une éthique chrétienne, et continuent de se dire « chrétiens-sociaux » après avoir quitté le mouvement chrétien-social inspiré par le conservateur antisémite Adolf Stoecker. Les Jungliberale, les jeunes nationaux-libéraux, entendent faire évoluer leur parti vers la gauche. Les « socialistes nationaux », inspirés par Friedrich Naumann, créent en 1896 un Nationalsozialer Verein (Association national-sociale), qui ne pourra s’affirmer dans le système des partis traditionnels mais dont l’idée survivra à sa dissolution en 1903.[9]

On le voit bien, il n’est pas aisé de cerner la constellation des libéraux alle­mands qui ont plus ou moins expressément revendiqué une appartenance à la « gauche ». La Deutsche Fortschrittspartei qui se constitue à la diète de Prusse en 1861 peut être considérée comme le premier parti libéral de gauche allemand.[10] Après une scission provoquée, en 1866, par la question du budget militaire de Bismarck, les progressistes prussiens ont soutenu la politique nationale de celui-ci, mais critiqué la constitution de l’Empire, qu’ils trouvent trop peu démocrati­que. Après avoir adopté la devise « Los von Bismarck » (Eugen Richter) et rem­porté un succès électoral en 1881, ils fusionnent avec les libéraux de la Liberale Vereinigung et prennent, en 1884, le nom de Deutsche Freisinnige Partei (1884–1893). Cette formation se divise, en 1893, par suite de divergences sur la politique militaire de Caprivi. De cette nouvelle division naît la Freisinnige Vereinigung (1893–1910), qui reçoit, en 1903, le renfort des socialistes nationaux après la dis­solution du Nationalsozialer Verein ; mais, en 1908, elle voit partir Theodor Barth, Rudolf Breitscheid et Hellmut von Gerlach, qui, refusant les compromis voulus par la participation au Bloc Bülow, créent la Demokratische Vereinigung (1908–1918).[11] Les démocrates d’Allemagne du Sud ont créé en 1864, après le retour d’émigrés influents, un parti auquel ils ont donné le nom de « progressiste » en signe de solidarité avec les progressistes de Prusse opposés à Bismarck dans le « conflit constitutionnel ». La Deutsche Volkspartei née à Stuttgart en 1868, ap­pelée aussi parfois (Süd)deutsche Volkspartei en raison de son ancrage géo­graphi­que, fusionnera en 1910 avec les libéraux de gauche d’Allemagne du Nord, en gros le « Freisinn », pour constituer la Fortschrittliche Volkspartei (1910–1918).[12]

La situation du libéralisme de gauche allemand résulte d’un certain nombre de facteurs. L’Allemagne n’a pas eu d’unité nationale avant 1871, puis les particula­rismes ont perduré après la naissance de l’Empire bismarckien. Le positionnement politique des uns et des autres s’est dans une large mesure défini par rapport à Bismarck de 1862 à 1890. Le libéralisme allemand n’était pas l’expression d’un milieu social homogène, comme le milieu conservateur ou le milieu ouvrier, ou l’expression d’une idée : le catholicisme, qui a fait l’unité du Zentrum. Les diffé­rents groupes libéraux de gauche, dans le nord, se sont souvent constitués autour d’une ou plusieurs personnalités, dont Eugen Richter est le parangon, qui, pour préserver leur influence, n’ont pas cherché le regroupement.

La situation du radicalisme, en France, se présente de façon bien différente. Ce que l’on a appelé le « Parti républicain » ne désigne pas un parti structuré selon les critères de définition habituelle, mais une famille d’esprit attachée à la République et se réclamant des valeurs de la Grande Révolution, un ensemble de personnalités, d’élus et de ministres, de clubs, d’associations. Ce Parti républicain éclate au début du XXe siècle ; ses divers courants s’organisent indépendam­ment les uns des autres. Le Parti républicain radical et radical-socialiste, le doyen des partis politiques français, naît, le 23 juin 1901, à partir du moment où est donnée une structure plus solide à une partie importante d’une mouvance qui lui avait préexisté ; l’Alliance républicaine démocratique est, en 1902, la réponse donnée par les républicains de gauche libéraux modérés à la création du Parti radical ; un an plus tard, se constitue la Fédération républicaine inspirée par Jules Méline. Il semble que seul le Parti radical puisse être retenu comme terme de notre compa­raison. En effet, l’Alliance Démocratique[13] et la Fédération Républi­caine n’ont pas eu suffisamment d’existence en dehors des élections ; la première était trop réso­lument antisocialiste et liée aux intérêts du grand capital, et elle n’a pas constitué de groupe parlementaire ; la seconde, même si elle se disait progres­siste, même si elle entendait rassembler tous les républicains au nom des principes de la Révolu­tion Française, peut être considérée comme un parti de droite conser­vateur.

1789 et 1848, la gestion de deux héritages politiques

L’un des grands points communs au radicalisme français et au libéralisme de gauche allemand est le fait qu’ils sont les héritiers d’une tradition révolutionnaire. La référence aux idées de 1789 constitue l’essentiel du fond doctrinal des pre­miers ; la référence aux idées de 1848/49 a la même importance chez les seconds qui, outre les socialistes, ont été les seuls, après 1871, à fêter ou à commémorer la Révolution de Mars (Märzfeiern). « Radical » est un terme qui a connu dès le premier tiers du XIXe siècle une certaine fortune, un terme dont la réalité origi­nelle resterait à préciser et qui, plus tard, s’est résumé à un dénominateur commun permettant à certains hommes politiques de la Troisième République d’apparaître comme des « républicains bon teint ».[14] Il s’agissait d’une étiquette qui, pour ne recouvrir que des contenus doctrinaux assez vagues, n’en avait pas moins de fortes connotations qui s’avéraient payantes lors des élections. « Radical » finit par devenir synonyme de force de bouleversement, de parti de gouvernement, d’anticléricalisme. Utilisé par les ultras sous la Restauration pour disqualifier les opposants résolus au régime, devenus les proscrits vers 1835, ce terme avait acquis un contenu social avec Ledru-Rollin dans les années 1840 – il revendiquait au nom des plus pauvres de « justes améliorations sociales », puis un contenu politique plus précis, notamment avec la revendication du suffrage universel censé permettre à toutes les couches sociales d’accéder au pouvoir et de contribuer à ces améliorations. Il a pris une tournure plus révolutionnaire en 1848 en traduisant les idées du courant de la « Montagne », parti du peuple, des « petits », opposé au parti de l’Ordre.[15] Gardant ses contours flous, le radicalisme a fédéré des républi­cains modérés et des éléments qui se sont confondus avec le courant socialiste (Louis Blanc).

Une nouvelle génération de républicains, pour lesquels le souvenir de 1848 est déjà lointain, se retrouve en 1868 sur une base doctrinale qui est formulée dans le programme de Belleville. Ce programme met l’accent sur la primauté du suf­frage universel, demande une instruction laïque et obligatoire, la suppression des armées permanentes auxquelles doit se substituer une armée de milice, la suppres­sion du budget des cultes qui soulève la question centrale du rapport entre les Églises et l’État, l’introduction d’un système fiscal plus juste.[16] La République étant instau­rée, le radicalisme se développe comme mouvance rassemblant les « répu­blicains avancés », même si, en réalité, des tendances très diverses y co­existent ; il est une mobilisation des républicains résolus à défendre le nouveau régime contre l’esprit monarchique. Des données nouvelles vont faire évoluer le radicalisme. Avec le réveil du socialisme, en 1881, il glisse vers la gauche et apparaît comme une force subver­sive. La pratique politique fait toutefois émerger une tendance caractérisant les hommes dits « de gouvernement » ; ceux-ci étaient disposés à faire alliance avec les modérés pour assurer la défense du régime. Ainsi se forme un clivage entre « opportunistes » qui, afin de gouverner, évoluent vers une forme de juste milieu, et les « intransigeants » qui restent fidèles à une doc­trine qui fait référence à la Révolution Française, et pas seulement à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. En 1901, le Parti radical se présente comme l’héritier d’une tradition portée par le parti républicain, censée être propre au radicalisme, mais qui est davantage l’expression d’une « ambiance culturelle diffuse », d’un « fonds culturel com­mun ».[17]

La « tragédie » du libéralisme de gauche allemand, comme celle du libéra­lisme allemand en général, réside, avant 1914, en grande partie dans l’idée répan­due selon laquelle l’organisation politique du libéralisme est superflue, dans son embarras face à la montée du mouvement ouvrier, dans sa division.[18] Les libéraux de gauche allemands se considèrent comme les dépositaires des idéaux de la Révolution de 1848/49. La génération des « quarante-huitards » a revendiqué jusqu’en 1870/71 pour les Allemands l’unité nationale et la liberté. Il a toutefois existé entre eux une divergence sur la conception de l’unité ; alors que les libéraux de gauche prussiens souhaitaient une unité sous forme d’une petite Allemagne placée sous l’égide de la Prusse, ceux du sud ont manifesté des réticences qui leur ont valu une lourde défaite lors des premières élections au Reichstag en 1871 et lors des scrutins suivants. Après la fondation de l’Empire, les libéraux de gauche continuent à défendre l’idée que les Allemands acceptent un régime qui ne corres­pond pas à leur éthique politique profonde et que les idéaux de 1848 ne seront totalement réalisés qu’à partir du moment où la liberté suivra l’unité.[19] C’est ce qu’affirment par exemple les démocrates du sud durant les grandes fêtes commé­moratives qu’ils organisent à Francfort en 1873 et en 1898 ; mais eux aussi ac­cepteront la monarchie impériale. Un clivage résulte de différences dans l’attitude adoptée face au « mouvement ouvrier » qui a commencé à s’organiser au sein du Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein créé par Lassalle en 1864. Alors que les progressistes prussiens, appartenant dans leur très grande majorité à la bourgeoi­sie, ont manifesté des sentiments antisocialistes très forts, les démocrates du sud ont développé une politique sociale progressiste et joué un rôle actif dans la nais­sance des Arbeiterbildungsvereine jusqu’au moment où le prolétariat s’est orga­nisé de façon indépendante au sein d’un parti socialiste. Cette rupture leur a porté un coup sévère.[20]

Les progressistes de Prusse seront affaiblis plus tard par la « sécession », c’est-à-dire par le départ de la grande bourgeoisie qui quittera leurs rangs en 1884. Cette formation est affectée par une division en une aile droite et une aile gauche, l’une souhaitant un État fort centralisé, l’autre un État de droit constitutionnel.[21] La question du mode de scrutin en Prusse constitue également un clivage entre ces deux tendances, les plus progressistes restant, comme les démocrates du sud, fidèles à la revendication du suffrage universel, les éléments plus modérés espé­rant qu’un mode de scrutin non égalitaire contribue à endiguer la montée du flot socialiste et leur permette de conserver leurs positions dans la société. Divisés sur la question militaire, ayant accepté un compromis sur la loi sur la presse (1874), les libéraux de gauche de Prusse font, du moins pour une partie d’entre eux, de la lutte contre les socialistes une priorité, de sorte que l’étiquette « de gauche » est, dans leur cas, essentiellement liée à trois grandes revendications : la parlementari­sation du régime, la liberté de croyance et la libération des forces économiques. Ces clivages s’estompent après 1890. Le départ de Bismarck, les succès électo­raux des socialistes, l’émergence de la Ligue agraire liée à la crise de l’agriculture, le début des échanges économiques à l’échelon mondial, le climat social résultant de la crise du début du XXe siècle, la Weltpolitik de Guillaume II, la montée des tensions internationales, l’accroissement des moyens militaires, les inquiétudes quant à l’avenir de l’Allemagne[22] contribuent à modifier la con­stel­la­tion des partis politiques allemands.

Ces données compliquent encore notre comparaison. En effet, non seulement l’attitude des libéraux de gauche face à la social-démocratie n’a pas été homo­gène, mais elle a évolué. Walter Goetz qualifiait en 1923 de « fantasque » Fried­rich Naumann parce qu’il avait tendu la main aux socialistes.[23] Celui-ci croyait à la possibilité de travailler avec les réformistes afin de faire naître une communauté nationale forte dans un monde dont il avait une vision inquiète. Les libéraux de gauche allemands ont accepté la monarchie impériale, participé au Bloc Bülow et donc travaillé avec les forces conservatrices. Cette évolution nous permet de dégager un autre point commun entre eux et les radicaux français : l’attitude face à l’émergence des « nouvelles couches sociales » dont parlait Gambetta, le souci de l’élite, des notables de la gauche bourgeoise, en France comme en Allemagne, de préserver un statu quo social qui leur permettait de conserver leurs positions dans la société.[24]

Des réalités multiformes

Après 1871, les partis libéraux de gauche allemands ne sont pas en mesure de développer des organisations extraparlementaires de masse qui leur permettraient d’étendre et d’augmenter leur influence. Ils restent des partis de notables et d’intellectuels qui ne se mobilisent véritablement que dans la perspective des campagnes électorales. Le Wahlverein, Zentralwahlkomitee ou leitender Aus­schuss (comité directeur) est l’instance suprême qui dispose de pouvoirs décision­nels importants et travaille en lien avec un comité exécutif (geschäfts­führender Ausschuss). Les congrès sont des temps forts lors des­quels sont défi­nies les orientations et les stratégies des partis ; dans les intervalles sont réunis, assez régulière­ment et en cas d’urgence, les Delegierte ou Vertrauensmänner élus par les structures locales qui, selon les circonstances, sont consultés comme repré­sentants d’une base qui reste fragile. Certaines forma­tions s’appuient sur des structures locales parfois anciennes dont la tradition re­monte à la Révolu­tion de 1848 et qui sont réactivées dans les années 1860. Tel est le cas des Volksvereine qui, dans le Wurtemberg par exemple, constituent l’armature de la Deutsche Volks­partei. Ce sont ces groupes qui, outre les réunions régulières, organisent la Märzfeier, l’anniversaire de la Révolution de 1848 ou des confé­rences consacrées à des questions politiques actuelles permettant de garder le contact avec l’opinion locale.[25]

L’une des faiblesses des libéraux allemands restera leur rapport à la masse, sur laquelle ils n’exercent qu’une influence directe assez limitée. La Freisinnige Vereinigung est le parti de la grande bourgeoisie urbaine, libre-échangiste, favo­rable à une politique coloniale et expansionniste ; elle est, plus encore que la Deutsche Volkspartei, un parti de notables coupé de la masse.[26] Conscients des conséquences de cette faiblesse lors des élections, dans la vie parlementaire et dans leur relation avec le pouvoir, Friedrich Naumann et les socialistes nationaux tenteront d’utiliser d’autres formes d’action pour trouver une audience ; mais en vain, car il s’avère qu’il est quasiment impossible de s’imposer dans le système des partis traditionnels.[27] Les médiocres résultats électoraux obtenus en 1903 par les partis libéraux de gauche déclenchent un long processus de rapprochement qui aboutira en 1910 à la création de la Fortschrittliche Volkspartei.[28] Faible parce qu’il est divisé, trop éloigné des masses et absent du pouvoir central à Berlin, le libéralisme de gauche allemand dispose toutefois d’un atout important : la presse périodique, dont on peut dire qu’elle fonctionne comme ferment et facteur de continuité de la pensée libérale dans l’Allemagne impériale. L’influence idéologi­que diffuse de la presse libérale de gauche dépasse sans aucun doute le poids que peuvent avoir dans la vie politique nationale les partis auxquels elle s’apparente.[29]

Le libéralisme de gauche a des relais, d’une importance numérique certes toute relative, dans le syndicalisme, dans les Gewerkvereine de Hirsch-Duncker[30], dans le réseau de coopératives inspirées par Schulze-Delitzsch[31] (qui sont l’illustration de la pensée coopérative[32], l’un de ses points doctrinaux importants en matière de politique sociale), dans les groupes pacifistes[33], dans les loges maçon­niques ainsi que dans les milieux de la libre pensée. L’ancrage universitaire du libéralisme de gauche est loin d’être négligeable, et un certain nombre d’associations se considèrent comme ses alliées ; c’est le cas du Verein für Sozial­politik[34] et du Handelsvertragsverein (1900–1918), groupement d’intérêts créé en 1904 qui souhaite voir le gouvernement poursuivre la politique commerciale et douanière de Caprivi et combat les conséquences du protectionnisme dans le domaine de l’agriculture.[35] La bourgeoisie protestante est le milieu social qui constitue l’essentiel du réservoir électoral, la majorité des adhérents et des parti­sans des formations libérales de gauche allemandes.[36]

Le radicalisme français est, lui aussi, une réalité multiforme qui ne peut pas être réduite aux seules formations politiques qui se réclament de lui. Le radica­lisme repose, par tradition, sur un grand nombre de comités, les « comités radi­caux » nés avec l’introduction du suffrage universel en 1848, dans lesquels réside une partie de son originalité et qui sont des lieux de contact entre élus, notables et électorat.[37] L’organisation des radicaux a un caractère très lâche qui donne à sa réalité locale un poids assez considérable ; cette organisation correspond, dans le Midi de la France notamment, à une forme traditionnelle de sociabilité. Le radica­lisme s’appuie en outre sur la franc-maçonnerie, et sur la Ligue de l’enseigne­ment. Ces liens lui donnent une certaine consistance, peut-être aussi une certaine orthodoxie doctrinale résidant dans les valeurs universelles d’une société républi­caine, laïque et rationaliste. Ainsi le Parti radical créé en 1901 apparaît-il davan­tage comme un parti de rassemblement reposant sur la libre entente de ses adhé­rents auxquels rien ne doit être imposé ; mais cette option correspond aussi à une tactique, au souci de s’adresser à l’électorat le plus large possible. Cette sou­plesse, cette attitude d’ouverture, le parti l’a érigée en principe de base dans la vie poli­tique en général, dans la pratique parlementaire et gouvernementale.[38] Son organe suprême est le « Comité exécutif », organisation électo­rale per­manente, qui centralise les moyens d’action, tout en laissant leur autono­mie aux comités locaux, prépare les congrès, désigne le bureau, organise le secrétariat permanent et prend les décisions entre les congrès. Une telle organisa­tion n’est pas sans poser de problèmes, notamment dans la relation entre la masse des comités, les innom­brables structures gravitant autour du parti et l’organisation centrale de celui-ci, dans la relation entre les élus et les comités dont il craint le contrôle, dans la rela­tion entre Paris, où se tiennent les réunions mensuelles du Comité exécutif, et la province, pénalisée par cette contrainte géographique.[39]

Évolutions doctrinales et ouvertures stratégiques

Le libéralisme de gauche allemand comme le radicalisme français se caracté­risent non seulement par la diversité des lieux dans lesquels ils ont été actifs[40], mais aussi par une souplesse qui était censée leur permettre de trouver des voies moyennes dans les questions secondaires et de se ménager des possibilités d’ouvertures stratégiques sans trahir l’essentiel de la doctrine. Cette souplesse doctrinale et tactique s’avérait d’autant plus nécessaire que tous deux, menacés à droite comme à gauche, ressentaient la nécessité de conserver un pouvoir d’intégration. Les libéraux de gauche allemands étaient dans une situation de repli depuis les élections au Reichstag de 1881, qui leur avaient assuré leur dernier suc­cès.[41]

La grande différence entre ceux-ci et les radicaux français réside dans le fait qu’ils sont restés, hormis la courte période du Bloc Bülow (1907–1909), une mouvance d’opposition dans l’Allemagne impériale. S’ils voulaient avoir un jour un poids suffisant pour modifier la nature de la vie politique allemande et accéder au pouvoir, ils devaient adopter une double stratégie d’union entre leurs différen­tes composantes et d’ouverture envers des formations se situant sur leur droite et sur leur gauche. C’est ainsi qu’il faut comprendre le mot d’ordre : « de Basser­mann à Bebel », proposé par Theodor Barth et Friedrich Naumann au len­demain de leur débâcle électorale de 1903.[42] Une telle stratégie exigeait que l’on fasse des concessions, que la nouvelle génération de démocrates, gagnée au dogme de la realpolitik, semblait plus disposée à accepter que celle des « qua­rante-huitards ».[43]

Cette évolution a valu quelques compensations aux libéraux de gauche. Ils ont pu participer à un « bloc » en Bade. Ils ont obtenu quel­ques succès à la Chambre basse du Wurtemberg dont l’un des dirigeants de la Deutsche Volkspartei, Fried­rich (von) Payer, fut élu président, en 1895, avec l’appui du Zentrum. Ils ont parti­cipé au Bloc Bülow. Un rapprochement, certes long et difficile, leur a permis de se regrouper et de fonder en 1910 la Fortschritt­liche Volkspartei et de représenter, sur le plan numérique, une force à peu près comparable à celle des conservateurs et des nationaux-libéraux. La montée du socialisme et l’émergence des agrariens ne sont pas la seule explication de ce réalisme stratégique. S’agissant par exemple de la Deutsche Volkspartei, l’appartenance sociale de ses nouveaux dirigeants, leurs liens avec le monde de l’industrie et de la finance les rapprochaient des plus modérés des libéraux de gauche. D’abord opposés à l’expansion coloniale et aux programmes d’armement, ils firent sur ce point des concessions, car ils voyaient dans l’impérialisme un gage d’avenir pour la nation en plein essor. Cette évolu­tion ne pouvait cependant que désemparer une base encore majoritairement com­posée de petits artisans et de petits paysans indépendants et fidèles aux vieux idéaux de 1848.

Ni leur programme social[44], ni leurs stratégies ne permirent aux libéraux de gau­che de gagner un quelconque terrain aux dépens du SPD dont la composition sociale était homogène, au sein duquel la loi coercitive de 1878 avait renforcé le sentiment de solidarité et qui avait développé son propre réformisme. Des ententes lors des élections ou lors de votes au Reichstag furent certes rendues possibles par des convergences sur certains points[45], mais la question de l’attitude à adopter face à la social-démocratie resta une source de divergences au sein de la Freisinnige Vereinigung, notamment après la Révolution russe de 1905/07. Les uns souli­gnaient la nécessité de contenir le mouvement ouvrier tandis que d’autres, comme Theodor Barth et Friedrich Naumann, plaçaient leurs espoirs dans la tendance « révisionniste » du Parti social-démocrate tout en prônant un « révisionnisme libéral ».[46] L’idée d’un front libéral-socialiste capable de rallier les démocrates du sud et les partisans d’un socialisme national et/ou chrétien, amena une inflexion sensible des conceptions de certains libéraux en matière de politique sociale. Opposés, au départ, à une politique sociale gouvernementale dans laquelle ils voyaient un moyen utilisé par l’État autoritaire pour s’affermir et une cause d’affaiblissement du libéralisme face à un contrôle grandissant de l’État, ils fini­rent par en accepter le principe après 1900.[47] Le Programme minimal de Francfort (1906), sur la base duquel put se consti­tuer au Reichstag un groupe parlementaire libéral de gauche unique et avoir lieu la fusion de 1910, formule le dénominateur commun aux trois formations libérales de gauche. Les points de doctrine essen­tiels étaient : l’égalité du citoyen (égalité devant la loi, autonomie adminis­trative, suffrage universel, découpage équitable des circonscriptions électorales, liberté d’association et de coalition, liberté de conscience et d’expression), une armée nationale populaire (contrôle des dépenses militaires qui ne doivent pas accabler la masse du peuple, fin des mauvais traite­ments infligés aux soldats, limitation des cours martiales, réduction de la durée du service militaire, arbitrage international), amélioration de la condition économique et intellectuelle des clas­ses modestes, libération des forces économiques (liberté d’entreprise, amélioration des moyens de transport, abolition des droits de douane).[48] Ce programme expri­mait la volonté de moderniser la société alle­mande, de faire d’elle une société « citoyenne, plura­liste et civilisée », en d’autres termes de vaincre l’establishment monarchique, aristocratique et militaire de la société wilhelmienne.[49]

En France, le radicalisme s’est caractérisé avant 1901 par un certain flou doc­trinal qui permettait de rassembler tous les républicains. Le Parti radical, devenu parti gouvernemental à l’époque du ministère Combes (1902–1905), a en quelque sorte focalisé son action sur le combat anticlérical ; après la chute du Bloc des gauches en 1905, le Parti radical, comme le montre le Programme de Nancy de 1907, a cherché à se positionner sur l’échiquier politique français ; enfin, il a évolué vers le « centre » (Congrès de Tours), adoptant une attitude d’ouverture à gauche et à droite afin de se ménager la possibilité de rester l’axe de coalitions gouvernementales. Mais, en dépit des ruptures et des contradictions qui ont résulté de cette évolution, l’« esprit radical » est resté le même, transcendant les attitudes divergentes et les nuances sur certains points de programme.[50]

Quels sont, sur le plan doctrinal, les points communs aux libéraux de gauche allemands et aux radicaux français ? Quelles sont les différences ? Les deux mou­vances souhaitaient une révision des institutions ; mais les problématiques sont totalement différentes. Les premiers avaient pour revendication essentielle une parlementarisation de la monarchie constitutionnelle qui devait permettre aux classes bourgeoises libérales d’accéder au pouvoir. Les radicaux français avaient d’abord souhaité la suppression de la présidence de la République et du Sénat qui leur apparaissaient comme un défi au principe du suffrage universel ; après la crise boulangiste, cette question étant devenue un sujet de divisions internes, elle ne pouvait plus être qu’une revendication formelle.[51]

La séparation des Églises et de l’État n’a pas été un thème majeur pour les libéraux de gauche allemands, car, d’une part, le Kulturkampf a imposé des limi­tes à la position de l’Église catholique dans l’Empire ; d’autre part, la question des rapports entre l’Église et l’État dans l’Allemagne protestante, n’a pas fait l’objet d’affrontements idéologiques comme dans la France républicaine. Cette question était devenue pour les radicaux français une priorité, non seulement pour des raisons doctrinales, mais aussi parce qu’elle était liée à la question de l’armée et du patriotisme ; c’est pourquoi elle fut ravivée par l’affaire Dreyfus. La lutte anticléricale revêt une importance toute particulière dans l’histoire doctrinale du radicalisme français dans la mesure où des questions majeures lui ont été subor­données. La grande question était celle du monopole de l’enseignement qui sus­cita un débat qui fit apparaître les deux visages du radicalisme du début du siècle, le radicalisme « jacobin » et le radicalisme « libéral ». Le credo du premier, celui de l’État éducateur (Déclaration des droits de l’Homme, 1789) n’était pas sans susciter des oppositions chez le second qui, au nom de la liberté, se montrait réticent.

La « question sociale » posait un problème aux libéraux de gauche allemands pour deux raisons : sur un plan idéologique, elle appelait une réponse à la question de l’étatisme, de l’intervention de l’État dans la sphère privée ; sur le plan tacti­que, cette réponse était capitale pour l’évolution de leurs rapports avec la social-démocratie. En France, au sein du Parti radical, elle fut aussi l’objet de discus­sions et de controverses, notamment sur la question de savoir comment pouvaient être conciliés le réformisme social et le respect de la légalité et de la propriété privée. Comme certains libéraux de gauche allemands, des radicaux français se sont montrés opposés à l’intervention de l’État au nom de la liberté économique, partant du principe que la réforme sociale devait partir d’une évolution spontanée et être le résultat d’une évolution morale et intellectuelle de la société. Ces radi­caux-là étaient des « radicaux de gouvernement », en situation de responsabilité et plus proches des réalités économiques, donc plus modérés.

S’agissant de leur positionnement sur l’échiquier politique, la situation des radicaux français et des libéraux de gauche allemands se présentait de façon tout à fait différente. La chute du « Bloc des gauches » en 1905 amena les premiers à se définir de façon plus nette par rapport aux modérés et aux socialistes, tout en espérant pouvoir reconstituer ce Bloc. C’était là la problématique française du rapport entre le centre gauche et les socialistes. Alors que, comme nous l’avons vu, certains libéraux de gauche allemands se demandaient comment pouvoir constituer un front libéral-socialiste contre la réaction, les radicaux français s’efforçaient de reconstituer l’« union des gauches », réalisée au temps du Bloc, en d’autres termes de préserver l’union des héritiers de la Révolution face à la « contre-révolution ». C’est pourquoi ils ne pouvaient avoir une attitude dogmati­que. Comme les libéraux de gauche allemands, ils refusaient l’idée de classe et de lutte des classes. Les premiers ressentaient la nécessité de travailler à la constitu­tion d’une communauté nationale capable de faire face aux grandes évolutions du monde et aux périls extérieurs ; ils refusaient le principe de la révolution par la violence, destructrice de la puissance nationale et de l’ordre existant ; seule l’action légale et parlementaire devait permettre de faire évoluer la société, même si l’on se montrait attaché au droit à la révolte pour le cas où l’on porterait atteinte aux institutions et à la volonté populaire.

Une autre question, celle du mode de scrutin, divisait les radicaux. Pour cer­tains, le scrutin de liste – que les démocrates réussirent à faire adopter dans le Wurtemberg après 1900 – avait un caractère « moralisateur » dans la mesure où il était, selon eux, une garantie contre les puissances d’argent, favorisait le débat d’idées, contrairement au scrutin d’arrondissement, héritage de l’Empire, dont on pensait qu’il menait à la corruption et à la défense d’intérêts particuliers. Mais le scrutin de liste n’avait-il pas dû être supprimé par la République lors de la crise boulangiste ? N’avait-il pas permis, en 1902, une poussée de la droite dans le nord et dans l’est ? La question s’enlisant, le gouvernement ne prit finalement pas de décision. La proportionnelle apparut toutefois comme une nécessité stratégique car il n’y avait plus, en France, deux mais trois partis : le Bloc de droite, le Bloc de gauche et le Parti socialiste unifié ; la représentation proportionnelle était celle qui semblait s’adapter le mieux à la rupture du Bloc des gauches (ce que les radi­caux redoutaient, c’était une « union des cléricaux et des socialistes »). C’est finalement au compromis que l’on eut recours lors du congrès de Tours, en 1912 : le scrutin de liste majoritaire avec sectionnement des départements.

Des divergences ont également existé, chez les radicaux comme chez les libé­raux de gauche, sur les questions militaires et les questions de politique extérieure. Chez les premiers, la défaite de 1871 avait en quelque sorte rendu caduque l’idée de la suppression des armées permanentes, formulée, en 1868, dans le programme de Belle­ville[52] comme dans celui de la Deutsche Volkspartei. Par la suite, le développe­ment de la politique coloniale allemande et l’affaire du Maroc devaient inspirer une certaine prudence. En outre, certains libéraux de gauche allemands étaient, comme Friedrich Naumann, des défenseurs de l’impérialisme. Quant aux démo­crates du sud, ils atténuèrent fortement leur antimilitarisme à partir du moment où ils acceptèrent l’idée coloniale, et formulèrent autrement leur paci­fisme. Pouvait-on, dans le climat de nervosité et de tension qui régnait en Europe avant 1914, apparaître comme des patriotes tièdes sans risquer de s’aliéner une partie de l’électorat et laisser l’initiative à l’adversaire, s’agissant des radicaux français, à la droite cléricale ? C’est pourquoi ceux-ci choisirent, là aussi, une voie moyenne entre le nationalisme de droite, condamné en 1907 dans le Programme de Nancy, et l’antipatriotisme de certains socialistes, des hervéistes notamment.[53]

On peut, semble-t-il, dire en conclusion que les radicaux et les libéraux de gauche ont évolué, dans des contextes différents, vers une sorte de juste milieu sur des points de doctrine secondaires, pour des raisons de stratégie et pour neutraliser des divergences internes. Chez les radicaux, ces divergences résultaient du fait que les uns faisaient preuve d’une intransigeance doctrinale relevant de l’idéalisme alors que la position d’hommes de gouvernement dictait à d’autres une certaine souplesse ; elles pouvaient aussi traduire des différences de sensibilité entre ceux qui, comme Camille Pelletan, restaient fidèles à l’alliance à gauche et ceux qui, comme les membres du Comité Mascuraud, représentaient les intérêts des milieux économiques.[54] Chez les libéraux de gauche allemands, nous retrou­vons des différences analogues entre deux sensibilités dont l’une correspondait aux aspirations de la petite et de la moyenne bourgeoisie et l’autre aux catégories de pensée de représentants de la grande bourgeoisie d’affaires.[55] Ces différences de sensibilité résultaient, dans les deux cas, d’une absence d’homogénéité dans la composition sociale du parti.

Toute-puissance du Parti radical français, déclin des partis libéraux de gauche allemands ?

La situation du radicalisme français d’avant 1914 : son importance numéri­que, sa présence forte dans l’espace public, son rôle d’axe gouvernemental, a fait naître un mythe radical qui ne correspond sans doute pas totalement à l’image que l’on a pu ou que l’on peut encore avoir du Parti radical. En comparaison de celui-ci, les partis libéraux de gauche allemands apparaissent comme une mouvance politique divisée, donc faible, éloignée d’un pouvoir monopolisé par les forces conservatri­ces et menacée d’un côté par le mouvement « agrarien », de l’autre par un SPD dont les résultats progressaient quasiment à chacune des élections au Reichstag. Est-on pour autant fondé à parler d’une toute-puissance du radicalisme français et d’un « déclin » (Niedergang)du libéralisme de gauche allemand ?[56]

Un certain nombre d’éléments permettent de corriger l’image du radicalisme français. Celui-ci se caractérisait par une certaine confusion liée à la question de l’appartenance réelle au Parti radical. La décision prise par le congrès de 1910 d’interdire la double appartenance au Parti radical et à l’Alliance Républicaine Démocratique afin de clarifier la situation, permit de constater que le nombre de comités qui avaient adhéré à l’un et à l’autre était important, et que, le voile de la confusion étant levé, le Parti radical représentait une force inférieure à celle que l’opinion lui attribuait.[57] Une autre question se pose : dans quelle mesure les radi­caux ont-ils exercé le pouvoir ? Des hommes tels que Poincaré, Barthou, Leygues, Monis, classés comme « républicains radicaux » dans les listes ministérielles, n’ont en réalité jamais appartenu au Parti radical. Le radicalisme a en quelque sorte fonctionné comme une force de soutien à des gouvernements envers lesquels ils ont adopté des attitudes diverses, allant de la réserve à la fronde. Il a constitué une force de rassemblement sur laquelle Waldeck-Rousseau put s’appuyer. Pour l’opinion et les militants, il s’agissait d’un gouvernement radical, même si les dirigeants du parti du même nom se montraient réservés. Cette confusion a parfois eu des effets néfastes pour le parti. Ainsi, l’attitude de Briand face aux grèves de 1909 a-t-elle fait perdre au Parti radical le reste de sa clientèle ouvrière. Autre élément, le radicalisme avait un ancrage plus particulier à Paris et dans la « France rouge » : le Nord du Massif central, le sillon rhodanien, le Midi méditerranéen, de sorte qu’il pouvait apparaître comme un phénomène du sud de la Loire. Enfin, comme les libéraux de gauche allemands, les radicaux voyaient avec inquiétude grandir d’un côté la vague du nationalisme – qui les faisait reculer à Paris et dans certaines grandes villes –, de l’autre le courant socialiste. Même si le mot d’ordre restait : « pas d’ennemi à gauche », la rupture du Bloc des gauches ressembla bien à cette démarcation entre la démocratie bourgeoise et la démocra­tie prolétarienne qui, en Allemagne, s’était produite dès la fin des années 1860. Cette évolution entraîna sans aucun doute un affaiblissement du Parti radical, une perte de son ancrage dans une frange importante de l’opinion. Il lui fallut, dès lors, renoncer à son flou doctrinal et se définir plus précisément, d’un côté par rapport aux répu­blicains libéraux et modérés, de l’autre par rapport aux socialistes gagnés au prin­cipe collectiviste. En proie à l’incertitude, le Parti radical sembla connaître une situation de repli.

Les libéraux de gauche allemands ont connu une évolution différente. La période postbismarckienne, durant laquelle des données nouvelles ont profondé­ment modifié la vie politique de l’Allemagne, n’a pas répondu aux attentes du libéralisme allemand qui, par ailleurs, n’a pas su ou pu remédier aux faiblesses qui étaient les siennes. À la fin du XIXe siècle, tous les milieux de la société alle­mande étaient politisés. La vie associative, les partis, les syndicats et les coopéra­tives, la presse et la littérature avaient contribué à développer des cultures propres à chacun d’eux et à élever entre eux des barrières invisibles. Cette évolution ne faisait que limiter l’audience que les libéraux pouvaient espérer avoir dans d’autres milieux ; en d’autres termes, leur pouvoir d’intégration semblait s’affaiblir. Dans les années 1860, ils avaient été les représentants, les promoteurs de l’idée nationale. Cette époque était révolue. D’autres s’affirmaient désormais en tant que tels, s’appuyant sur des organisations de masse comme la Ligue navale et la Ligue pangermaniste, qui avaient placé l’idée nationale au cœur de leur programme et dont la propagande populiste s’adressait à tous les milieux. Le Deutscher Kriegerbund, fédération des associations d’anciens combattants, qui s’était constituée en 1872/73, et le Kyffhäuserbund (2,1 millions de mem­bres en 1903) entretenaient l’émotion nationale dans l’opinion. Si les natio­naux-libéraux s’étaient faits les champions de la « Weltpolitik », c’était dans l’espoir de tirer un bénéfice du soutien à la politique de Guillaume II dans ce domaine et de permettre une libéralisation de l’Empire.

Par ailleurs, la politique coercitive de Bismarck avait renforcé le catholicisme politique et la social-démocratie et, indirectement, affaibli le libéralisme allemand. Friedrich Payer était de ceux qui pensaient qu’une politique libérale était la meil­leure arme pour calmer le flot montant du socialisme ; d’autres, comme Conrad Haußmann, espéraient que le parti ouvrier renoncerait au principe de la lutte des classes et qu’ainsi un rapprochement serait possible.[58] Mais ce n’était là qu’une illu­sion, d’autant qu’en participant au Bloc Bülow les libéraux de gauche s’éloignèrent de leur ligne progressiste, contre la volonté de nombreux adhérents. Cette alliance avec la « réaction » provoqua une sécession au sein de la Freisin­nige Vereinigung. Enfin, l’assise du libéralisme de gauche allemand se situait essentiellement dans la petite et moyenne bourgeoisie protestante. Ceux qui, parmi eux, craignaient la masse ouvrière étaient tentés d’évoluer vers la droite.[59] Cette inquiétude apparaît aussi comme l’un des symptômes de la crise de la bour­geoisie cultivée qui, par le passé, avait incarné l’optimisme et les valeurs de pro­grès. Était-ce la fin d’un leadership ?[60]

Il convient cependant de relativiser cette présentation du libéralisme de gau­che dans l’Allemagne de Guillaume II. Il était, en effet, assez bien représenté dans les milieux économiques de la côte dans le nord et dans l’ouest, dans les chambres de commerce et dans les banques. Il comptait dans ses rangs de nombreux intel­lectuels et journalistes brillants qui dirigeaient des revues fonctionnant comme des forums de discussion qui ont marqué la pensée politique allemande.[61] Il était représenté, comme nous l’avons vu, dans des associations telles que le Verein für Sozialpolitik, sorte de laboratoire d’idées dont l’influence ne peut être davantage sous-estimée. Les idées libérales ont imprégné la société allemande, et c’est parce que ces idées étaient devenues un fonds de pensée commune qu’elles ont pu servir de socle à la constitution de la République de Weimar, que des hommes tels que Friedrich Naumann, Conrad Haußmann ou Hugo Preuß ont contribué à façonner. Le libéralisme allemand en général s’est préservé une marge d’initiative politique au niveau des communes, à l’autonomie desquelles il était très attaché. Si le libé­ralisme social n’a pas été associé au pouvoir à l’échelon national, il a apporté une contribution importante au développement des villes dans le cadre de l’urbanisation qui avait commencé vers le milieu du XIXe siècle. Il a joué un rôle remarquable dans certaines grandes villes, comme à Berlin ou à Francfort-sur-le-Main, qui envoyaient des sociaux-démocrates au Reichstag mais permettaient aux libéraux de s’imposer sur le plan local, en raison d’un mode de scrutin particu­lier. Ici, l’alliance avec les conservateurs et le Zentrum leur permettait, comme aux notables de sensibilités différentes, de préserver leurs positions au niveau com­munal.[62] Les ententes avec la social-démocratie, et occasionnellement avec le Zentrum, lors des élections et dans l’action parlementaire ont en quelque sorte fait apparaître, avant 1914, le potentiel de coopération sur lequel devait reposer la coalition de Wei­mar.[63] On se rappelle aussi que la coopération avec le Zentrum a été une réalité dans les parlements du pays de Bade et du Wurtemberg, une réalité qui leur don­nait un certain poids, même si le gouvernement était quasiment tou­jours confié à des ministres-fonctionnaires choisis par le pouvoir.[64] Enfin, les résultats qu’il a obtenus lors des élections au Reichstag ne permettent pas de parler d’un déclin continu ou total du libéralisme allemand avant 1914. Ces ré­sultats électoraux ne sont certes pas comparables à ceux des radicaux en France.[65]

Le libéralisme de gauche allemand et le radicalisme français ont donc eu des points de doctrine communs : l’instauration d’un régime représentatif moderne, la propriété et la liberté économique, le progrès social, la séparation des Églises et de l’État, la laïcité de l’école, idées qui les font apparaître comme des forces de la modernité. Des questions telles que l’armée, le pacifisme et l’expansion coloniale, qui constituaient des enjeux importants pour la sécurité et le devenir de la nation, ont été des deux côtés des sources de divergences qui ont été toutefois gommées. L’exemple du radicalisme français et du libéralisme de gauche allemand montre bien les limites d’une étude comparatiste de deux mouvances de pays différents dans la mesure où celles-ci sont les héritières de traditions différentes, ont déve­loppé un discours et une action qui ont été déterminés par des contextes nationaux différents.

À cela s’ajoute le constat que les deux mouvances étudiées ici n’ont jamais développé d’initiatives qui leur auraient permis de se rencontrer et de travailler ensemble, comme cela a par exemple été le cas chez les socialistes au sein de l’Internationale. La Ligue internationale de la Paix et de la Liberté créée à Genève en 1867 a favorisé des contacts entre des républicains français et des éléments progressistes allemands. L’Union parlementaire internationale fondée en 1888 a été également un lieu de rencontres régulières au-delà des frontières. Le pacifisme organisé a, lui aussi, proposé un cadre pour un dialogue auquel n’ont cependant participé que quelques éléments ouverts à l’idée de supranationalité ou convaincus de la nécessité de faire quelque chose pour empêcher une guerre dont les consé­quences leur paraissaient incalcu­lables. Les deux conférences franco-allemandes qui réunirent des parlementaires français et allemands à Berne en 1913 et à Bâle en 1914 laissaient envisager une action à la fois ciblée et déterminée que la décla­ration de guerre vint interrompre. Il a fallu attendre les années 1920 pour voir se constituer l’Association inter­natio­nale des partis radicaux et démocratiques, puis, après la Seconde Guerre mon­diale, l’Union mondiale des libéraux. La naissance d’institutions européennes a créé un cadre dans lequel s’est amorcée une coopéra­tion durable entre les libé­raux, les démocrates et les réformateurs de l’Europe. Ainsi a commencé un dialo­gue qui, en dépit de certaines bonnes volontés, a été dans une large mesure rendu impossible par le nationalisme et les conséquences qui en ont résulté pour les rap­ports entre les peuples européens jusqu’en 1918.



[1] La question de ces difficultés est abordée par Hudemann, Rainer, Politische Reform und gesellschaftlicher Status quo. Thesen zum französischen Liberalismus im 19. Jahrhundert, in : Langewiesche, Dieter (dir.), Liberalismus im 19. Jahrhundert. Deutschland im europäischen Vergleich, Göttingen 1988, p. 332–352, et par Krumeich, Gerd, Der politische Liberalismus im parlamentarischen System Frankreichs vor dem Ersten Weltkrieg, in : Langewiesche, Li­be­ralismus, p. 353–366.

[2] Bernstein, Serge, Histoire du Parti radical, 2 vol., Paris 1980, p. 63 et suiv. (vol. I).

[3] Erinnerungen an Conrad Haußmann, in : Neue Zürcher Zeitung, 16.02.1922, et sous le titre Dem toten Freunde, in : Der Beobachter. Blatt der Deutschen Demokratischen Partei Würt­tembergs, n° 7, 18.02.1922, p. 3 et suiv. Cité par Abret, Helga, « Nicht als ob ich Dich anders machen möchte… ». Zum Briefwechsel zwischen Hermann Hesse und Conrad Haußmann, in : Études germaniques, avril–juin 1999, p. 241–266, ici p. 241.

[4] Rousselier, Nicolas, L’Europe des libéraux, Paris 1991, notamment : Introduction, p. 9 et suiv.

[5] Langewiesche, Dieter, Deutscher Liberalismus im europäischen Vergleich. Konzeption und Ergebnisse, in : idem (note 1), p. 11–19 ; Klein-Hattingen, Oskar, Geschichte des deut­schen Liberalismus, 2 vol., 1. : Bis 1871 ; 2. : Von 1871 bis zur Gegenwart, Berlin 1912 ; Eley, Geoff, Liberalismus 1860–1914. Deutschland und Großbritannien im Vergleich, in : Lange­wiesche (note 1), p. 260–278.

[6] Mayer, Gustav, Radikalismus, Sozialismus und bürgerliche Demokratie, Francfort-sur-le-Main 1969, 195 p.

[7] Wegner, Konstanze, Theodor Barth und die Freisinnige Vereinigung. Studien zur Geschichte des Linksliberalismus im Wilhelminischen Deutschland (1893–1910), Tübingen 1968, notam­ment : Vorwort, p. V–IX.

[8] Boldt, Werner, Die württembergischen Volksvereine von 1848 bis 1852, Stuttgart 1970, 274 p.

[9] Damaschke, Adolf, Was ist National-Sozial ?, Berlin 1903 ; Düding, Dieter, Der Nationalsozi­ale Verein 1896–1903. Der gescheiterte Versuch einer parteipolitischen Synthese von Na­tio­nalismus, Sozialismus und Liberalismus, München 1972.

[10] Seeber, Gustav, Deutsche Fortschrittspartei (DFP), in : Fricke, Dieter, Die bürgerlichen Parteien in Deutschland. Handbuch der Geschichte der bürgerlichen Parteien und anderer bürgerlicher Interessenorganisationen vom Vormärz bis zum Jahre 1945, Leipzig 1968, p. 333 et suiv. (vol. I).

[11] Elm, Ludwig, Demokratische Vereinigung (DV) 1908–1918, in : Fricke (note 10), p. 280 et suiv. (vol. I).

[12] Voir notamment Hunt, James Clark, The People’s Party in Württemberg and Southern Ger­many, 1890–1914. The Possibilities of Democratic Politics, Stuttgart 1975, 203 p.

[13] Lachapelle, Georges, L’Alliance démocratique. Ses origines, ses hommes, son rôle, Paris 1935, 65 p.

[14] Bernstein (note 2), p. 17, 23.

[15] Bernstein (note 2), p. 25.

[16] Le Programme de Belleville est très proche du programme de la (Süd)deutsche Volkspartei créée à Stuttgart la même année ; seule la partie sociale paraît faible dans le premier en com­paraison du second.

[17] Bernstein (note 2), p. 29.

[18] Scheel, Walter, Vorwort, in : Sell, Friedrich C., Die Tragödie des Deutschen Liberalismus, 2ème éd., Baden-Baden 1981, p. I et suiv.

[19] Bäumer, Gertrud, Der Geist der Achtundvierziger und die deutsche Politik, in : Die Hilfe, n° 10, 15.05.1923, p. 161 ; Goetz, Walter, Der deutsche Staat und das Jahr 1848, in : Die Hilfe, n° 10, 15.05.1923, p. 162. Voir aussi : Die Frankfurter Märzfeier zum Gedächtnisse der Be­wegung des Jahres 1848 abgehalten in Frankfurt am Main am 26. und 27. März 1898. Be­richt des Fest-Ausschusses, Francfort-sur-le-Main 1898.

[20] Weber, Rolf, Deutsche Volkspartei (DVP), in : Fricke (note 10), p. 637 et suiv. (vol. I). Gerteis, Klaus, Leopold Sonnemann. Ein Beitrag zur Geschichte des demokratischen Natio­nalstaatsgedankens in Deutschland, Francfort-sur-le-Main 1970, 114 p.

[21] Réformes judiciaires, responsabilité ministérielle, statut des communes, réforme de la Cham­bre des Seigneurs, libération des forces économiques, économies budgétaires réalisées sur l’armée, séparation des Églises et de l’État, loi scolaire.

[22] Radkau, Joachim, Das Zeitalter der Nervosität. Deutschland zwischen Bismarck und Hitler, München 2000.

[23] Goetz (note 19).

[24] Rainer Hudemann considère, à juste titre, comme secondaire le débat sur les institutions, sur le rapport entre l’Église et l’État, par rapport à la question du statu quo social : Hudemann (note 1), p. 339.

[25] Concernant par exemple la propagande pacifiste à l’époque de Guillaume II : Alexandre, Philippe, Haller für den Frieden, in : Württembergisch Franken 82 (1998), p. 199–324.

[26] Elm (note 11), p. 69.

[27] Heuss, Theodor, Friedrich Naumann. Der Mann, das Werk, die Zeit, 2ème éd., Stuttgart 1949.

[28] Les démocrates du Wurtemberg conservent leur propre organisation dans le cadre du nouveau parti ; L. Quidde et quatre demokratische Vereine de Bavière refusent ce glissement vers la droite : Elm (note 11), p. 643.

[29] La Frankfurter Zeitung, très lue en raison de la qualité de ses articles économiques et de sa rubrique culturelle et littéraire, avait un lectorat dont l’importance dépassait proportion­nellement celle de la Deutsche Volkspartei. Le libéralisme de gauche a été longtemps la matrice de revues de haut niveau telles que Die Nation dirigée par Theodor Barth, Die Hilfe inspirée par Friedrich Naumann, März de Albert Langen, qui comptait parmi ses collaborateurs le Wurtembergeois Conrad Haußmann. Die Hilfe a été pour le libéralisme allemand un forum de discussion remarquable et un moyen de diffusion de leurs idées pour les socia­listes nationaux. La Hilfe-Gemeinschaft formait une sorte de famille d’idées, consti­tuée de nombreux groupes locaux qui organisaient des Hilfe-Abende, mais qui n’avaient pas de véritable lien entre eux.

[30] Poersch, Bruno (Düsseldorf), Die Hirsch-Dunckerschen Gewerkvereine, in : Die Hilfe, n° 20, 19.05.1907, p. 309.

[31] Jahn, Gustav (Leipzig), Schulze-Delitzsch. Geboren am 29. August 1808, in : Die Hilfe, n° 35, 30.08.1908, p. 561 et suiv.

[32] Autonomie du citoyen (Selbsthilfe) dans le sens libéral, par opposition à socialisme d’État (Staatshilfe), c’est-à-dire refus de l’ingérence de l’État dans les affaires privées.

[33] Voir les revues Friedensblätter (Esslingen) et Völkerfriede (Esslingen), organes de la Deutsche Friedensgesellschaft, ainsi que Friedens-Warte, créée en 1899.

[34] Sonntag, Heinz, Verein für Sozialpolitik (VfS) 1872–1936, in : Fricke (note 10), p. 735–742 (vol. II).

[35] Elm (note 11), p. 71 et suiv. Le premier président de cette association, Georg von Siemens, était membre de la Freisinnige Vereinigung ; il a aussi apporté un soutien actif au Nationalso­zialer Verein.

[36] La structure sociale du libéralisme allemand n’avait toutefois pas l’homogénéité d’autres partis qui, comme le SPD, représentaient des groupes sociaux naturels. Quant au Zentrum, son unité résidait dans la défense du catholicisme.

[37] Bernstein (note 2), p. 33.

[38] Bernstein (note 2), p. 41.

[39] Journaux, associations, loges maçonniques, ligue de l’Enseignement, caisses des écoles, sociétés de libre pensée, sociétés de secours mutuel, syndicats ouvriers et agricoles, groupe­ments de bienfaisance. Bernstein (note 2), p. 43 et suiv.

[40] Voir Nipperdey, Thomas, Die Organisation der deutschen Parteien vor 1918, Düsseldorf 1961 ; Steinbrecher, Ursula, Liberale Parteienorganisation unter besonderer Berücksichtigung des Linksliberalismus 1871–1893 (thèse), Cologne 1960.

[41] 115 députés sur 397, 23,1 % des suffrages. Wehler, Hans-Ulrich, Das Deutsche Kaiserreich 1871–1918, 7ème éd., Göttingen 1994, p. 82. Les sociaux-démocrates et la Ligue agraire ont connu, après 1900, une montée en force qui s’explique notamment par la tournure radicale que prirent les antagonismes sociaux sous l’effet de l’industrialisation, de la crise de l’agriculture et du contexte économique international.

[42] Heuss (note 27), p. 177 et suiv.

[43] Lors de la création de la Deutsche Freisinnige Partei, en 1884, la Frankfurter Zeitung se flattait encore d’empêcher l’implantation du libéralisme inspiré par Eugen Richter (Freisinn) en Allemagne du Sud.

[44] Dans leur programme social progressiste, les démocrates du sud avaient trouvé une sorte d’équilibre entre un étatisme raisonnable et l’autonomie des citoyens s’organisant dans des coopératives pour améliorer leur sort.

[45] La revendication démocratique du référendum, la condamnation des lois d’exception, la limitation des dépenses militaires, des taxes sur des denrées de base, l’introduction de l’impôt progressif sur les revenus.

[46] Barth, Theodor, Neue Aufgaben des Liberalismus (nach einer in München am 28. Januar 1904 gehaltenen Rede über « Liberalen Revisionismus »), Berlin 1904.

[47] Langewiesche, Dieter, German Liberalism in the Second Empire, 1871–1914, p. 230 et suiv. Les conceptions de la Deutsche Volkspartei étaient différentes. Lors du congrès de Karlsruhe, en 1882, ils s’étaient prononcés en faveur d’une protection sociale des ouvriers, renonçant du même coup à la tradition du libéralisme intégral : Weber (note 20), p. 639 et suiv.

[48] Elm (note 11), p. 75 et suiv.

[49] Nipperdey, Thomas, War die wilhelminische Gesellschaft eine Untertanengesellschaft ?, in : idem, Nachdenken über die deutsche Geschichte, München 1986, p. 172–185, notamment p. 181.

[50] Bernstein (note 2), p. 56.

[51] Ibid., p. 58. Au congrès de Tours, en 1912, se dégagea même une majorité pour reconnaître que le Sénat avait été, à l’époque du boulangisme, une « forteresse de la République ». À Nancy, en 1907, on s’était contenté d’affirmer que la Chambre devait avoir le dernier mot dans les matières importantes touchant à la législation et au budget.

[52] Nicolet, Claude, Le radicalisme, 5ème éd., Paris 1983, p. 20 et suiv.

[53] Bernstein (note 2), p. 64.

[54] Bernstein (note 2), p. 53, 57, 68.

[55] En France, la grande bourgeoisie d’affaires était représentée au Parti radical ainsi que dans la mouvance républicaine libérale modérée, démocratique ou progressiste.

[56] Wehler (note 41), p. 82.

[57] Bernstein (note 2), p. 68.

[58] Déclaration de Friedrich von Payer au Reichstag, 12.12.1903. Au début du mois d’octobre 1909, Conrad Haußmann écrivait à Bebel qu’il espérait voir le parti ouvrier renoncer au prin­cipe de la lutte des classes : Elm (note 11), p. 642.

[59] C’est ce que souligne G. Seeber, Deutsche Fortschrittspartei (DFP) 1861–1884, in : Fricke (note 10), p. 339 (vol. I).

[60] Langewiesche (note 47), p. 233 et suiv.

[61] Theodor Barth, H. Dove, Hellmut von Gerlach, G. Gothein, K. Mommsen, Friedrich Nau­mann, K. Schrader.

[62] Telle est la thèse de Dieter Langewiesche (note 47), p. 230.

[63] Langewiesche (note 47), p. 230.

[64] Fenske, Hans, Der liberale Südwesten. Freiheitliche und demokratische Traditionen in Baden und Württemberg, 1790–1933, Stuttgart 1981, p. 146 et suiv.

[65] 1898 : 2 millions de voix, 27,5 % des suffrages exprimés. Le Parti radical qui se constitua en 1901 pouvait compter sur environ 300 parlementaires à la Chambre et au Sénat. Dans la Chambre élue en 1902, 219 députés se réclamaient de l’étiquette radicale. En 1906, ils étaient 247, en 1910 261 sur 587.

Für das Themenportal verfasst von

Philippe Alexandre

( 2007 )
Zitation
Philippe Alexandre, Le libéralisme de gauche allemand et le radicalisme français 1866/68-1914, in: Themenportal Europäische Geschichte, 2007, <www.europa.clio-online.de/essay/id/fdae-1422>.
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