« Hier Allemand, aujourd’hui citoyen français, je m’en contrefous » René Schickelé (1883-1940), alsacien, européen, pacifiste

Aujourd’hui, il est indispensable de se définir comme « international ». L’avenir appartient aux bi-nationaux et aux « métisses ». Il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’à une période récente, ceux et celles qui bravaient les codes nationaux, refusaient une identité nationale, optaient résolument pour le cosmopolitisme, s’en trouvaient fortement punis. Les binationaux, inclassables dans l’ordre national, étaient des déclassés. Longtemps tributaires de l’idéologie nationale, les sciences sociales ont elles-mêmes amplement négligé le phénomène de la transnationalité. Ainsi, la recherche historique ne s’est pas intéressée aux acteurs qui n’ont pas pu ou pas voulu se plier à l’ordre national imposé au cours du 19ème et du 20ème siècle. Oeuvrant à saisir une société sur un territoire déterminé, les sciences historiques ont banni de leurs préoccupations le cas des hommes et des femmes qui ont refusé de s’engager pour une seule nationalité et d’en haïr une autre. Officiellement, les « entre-deux » n’existaient pas.

« Hier Allemand, aujourd’hui citoyen français, je m’en contrefous ». René Schickelé (1883-1940), alsacien, européen, pacifiste[1]

Christiane Kohser-Spohn

Aujourd’hui, il est indispensable de se définir comme « international ». L’avenir appartient aux bi-nationaux et aux « métisses ». Il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’à une période récente, ceux et celles qui bravaient les codes nationaux, refusaient une identité nationale, optaient résolument pour le cosmopolitisme, s’en trouvaient fortement punis. Les binationaux, inclassables dans l’ordre national, étaient des déclassés. Longtemps tributaires de l’idéologie nationale, les sciences sociales ont elles-mêmes amplement négligé le phénomène de la transnationalité. Ainsi, la recherche historique ne s’est pas intéressée aux acteurs qui n’ont pas pu ou pas voulu se plier à l’ordre national imposé au cours du 19ème et du 20ème siècle. Oeuvrant à saisir une société sur un territoire déterminé, les sciences historiques ont banni de leurs préoccupations le cas des hommes et des femmes qui ont refusé de s’engager pour une seule nationalité et d’en haïr une autre. Officiellement, les « entre-deux » n’existaient pas. Dans la recherche, place n’a été faite qu’aux acteurs ayant besogné à la construction et à l’affermissement de la nation.

René Schickelé appartient à ces « exclus » de l’Histoire, pour avoir plaidé trop tôt le dépassement de l’idéologie nationale et trop tôt rêvé une alternative au discours patriotique. Son cas témoigne qu’il y a eu un langage alternatif et un contre-discours au nationalisme, même si ceux-ci n’ont pas été retenus par l’Histoire. L’exemple de René Schickelé est intéressant en ceci qu’il offre une contre-image de ce que l’Histoire, souvent téléologique, a considéré comme inévitable au cours des conflits qui ont déchiré la France et l’Allemagne durant la première moitié du 20ème siècle. Il démontre que le nationalisme n’a pas été le piège inéluctable des deux nations belligérantes.

René Schickelé fait partie de la génération des écrivains expressionnistes en lutte contre le monde capitaliste, technocratique et « inhumain » de son époque. Chef de file du courant pacifiste du mouvement, en liaison étroite avec les grands artistes de son temps comme Thomas Mann, Roland Rolland, Franz Werfel ou Else Lasker-Schüler, qu’il côtoie dans les diverses revues littéraires et politiques dont il est le directeur ou qu’il fréquente en exil, Schickelé est aujourd’hui reconnu essentiellement pour son rôle de passeur littéraire et politique entre la France et l’Allemagne en un temps où les deux pays ne s’aimaient pas. Sous cet aspect, le thème « René Schickelé » peut s’inscrire dans une approche de l’Histoire qu’un courant récent a élaboré sous le concept du transfert culturel. En effet, on peut aisément éprouver la biographie de l’écrivain aux résultats obtenus par la recherche en Histoire et en Sociologie sur la diffusion des idées. A l’heure actuelle, cette recherche redécouvre l’importance des relations personnelles et du contact direct dans la circulation internationale des idées. Le concept du transfert culturel a longtemps négligé ce vecteur d’interpénétration des pensées au profit de l’étude des canaux indirects (revues etc.). L’exemple particulier de Schickelé, ses rencontres avec des intellectuels français et allemands, permettent de suivre le voyage des idées artistiques et politiques de toute une génération d’écrivains engagés entre 1900 et 1940. Notre article appréhende l’interpénétration de ces idées dans l’espace franco-allemand à travers un moment clé du parcours de Schickelé : la lutte menée dès sa jeunesse pour une « alsacianité de l’esprit », pour une Alsace pont de réconciliation entre la France et l’Allemagne et zone de contact entre les deux cultures. Dans la source jointe, tirée d’un recueil d’essais politiques et artistiques que Schickelé a publié à Leipzig en 1913, nous comprenons combien cette lutte a été une nécessité presque vitale pour le passeur de culture. Pour Schickelé, le combat pour la réconciliation entre la France et l’Allemagne depuis le sol alsacien était déterminé par une volonté politique inné (« der politische Wille, mit dem ich geboren bin »), par un instinct de conservation (« ein mehr oder weniger vergeistigter Selbsterhaltungstrieb ») et par un fanatisme presque épidémique (« ein fanatischer Subjektivismus »).

C’est que Schickelé est né alsacien. L’Alsace, pays-frontière, où depuis toujours les destinées de l’Europe ont balancé entre la France et l’Allemagne, a défini son œuvre et son existence morale. L’Alsace « est mon destin personnel » lit-on dans notre document joint - « mein persönliches Schicksal ». Le texte fait part des expériences de son enfance, partagée entre une mère française et un père « alémanique » profondément francophile (« Vater Elsässer, alemannischer Winzer mit Leib und Seele »). Jusqu’à l’âge de dix ans, la formation mentale et intellectuelle de Schickelé a été exclusivement française. Une gageure dans une Alsace alors allemande. Schickelé se souvient de la répression que les autorités allemandes ont fait subir aux « francophones » : « In der Schule wurden wir beargwohnt und gehaßt. » Dès l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine par l’Allemagne après la défaite militaire française de Sedan en 1870, Bismarck avait en effet fait mener une politique de répression totale et de germanisation à outrance dans la région, dans le but d’effacer la période française de la mémoire collective alsacienne et lorraine et d’intégrer le plus rapidement possible la province au reste du Reich. Aussi longtemps que l’Alsace parlait, pensait et ressentait en français, pensait-on à Berlin, la région pouvait faire le jeu des Français. Dans cette région « peu sûre du point de vue national », il s’agissait alors de réprimer tout ce qui rappelait la France, depuis la langue jusqu’à la culture. Et de marquer l’espace alsacien de nouveaux signes, de nouveaux rythmes, de nouveaux symboles. Dans notre document, Schickelé se moque avec une verve toute expressionniste des « stupide Ziegelbauten » qui enlaidissaient les villes d’Alsace, des « Frühschoppen » du matin et la « Wachtmusik » de midi que la population entendait quotidiennement, des « junge Offiziere, diese bewaffneten und korsettierten Pennäler » qui paradaient dans les rues.

Ballottés entre la France et l’Allemagne, enjeu perpétuel de combats qui ont décidé arbitrairement de leur sort, les Alsaciens avaient investi dans la vie privée : « Wir verschanzten uns in unserer einzigen Überlegenheit : der Familie » se souvient Schickelé. Sur le plan politique, les Alsaciens avaient réagi et résisté à l « envahisseur » en recherchant une identité propre et en revendiquant le particularisme. Dans le texte, Schickelé évoque cette tradition forte en Alsace : « Je mehr Bier die Eroberer tranken, um so vergnügter hielten die Einheimischen sich zu ihrem Wein, unsere Protestanten wurden fast katholisch vor Abneigung gegen die gefrorenen Stockfische auf ihren Kanzeln […]. Grabsteingraue Konservative stimmten für den Sozi ». Après l’annexion de 1870, la résistance alsacienne avait été essentiellement catholique et républicaine, dirigée contre un régime dynastique protestant.

Mais le temps avait joué en faveur des Allemands. Ceux-ci ont disposé de la durée, 48 ans, soit deux générations, pour intégrer la population alsacienne dans le Reich. Un laps de temps suffisant pour fondre la province alsacienne dans l’espace mental, culturel et politique allemand. Comme les jeunes gens de sa génération, finalement socialisés à l’allemande, Schickelé s’est tourné vers la culture et la langue allemande pour les adopter définitivement comme moyen d’expression artistique.[2] Passionné de littérature, il a co-fondé la revue Der Stürmer dès 1902, en hommage au mouvement Sturm und Drang. Le but du Stürmer était de promouvoir la renaissance artistique de l’Alsace, en y faisant valoir les « véritables » cultures allemande et française au delà de leur instrumentation politique et de leur vulgarisation alsacianisante. Vers 1900, la majorité de la population alsacienne, qui avait profité de la prospérité économique allemande, avait déjà adhéré politiquement au Kaiserreich. A cette époque de conformisme politique, les ‘protestataires’ francophiles et/ou démo-socialistes avaient émigré vers la France. Dans ce vide politique, seul avait pu se développer un mouvement culturel en faveur des traditions alsaciennes. Ce mouvement, prôné par la bourgeoisie alsacienne, était engoncé dans un régionalisme et un particularisme sans substance politique. L’Alsace conçue comme une terre spécifique et homogène, ni française, ni allemande, était valorisée par le folklore, le théâtre, les musées, la littérature régionale. Au milieu de ce mouvement « alsacianisant » qui fonctionnait comme une soupape de sécurité, le Stürmer a éclaté comme une bombe. La revue était l’organe d’expression d’une jeunesse artistique et subversive en quête de nouveau, de cosmopolite et d’universel. De jeunes poètes et écrivains alsaciens comme Otto Flacke ou Ernst Stadler y prônaient la modernité, l’art urbain, un monde socialiste[3] dans une Alsace demeurée socialement rurale, politiquement conservatrice et culturellement amnésique. L’ambition des « Stürmer » était de réconcilier les êtres par l’art et la culture, par « la République de l’Esprit », et non par des desseins politiques. Pour eux, l’ennemi n’était pas la France ou l’Allemagne, mais l’aliénation des esprits, mais l’ignorance des cultures. A l’époque du Stürmer, Schickelé se ressentait comme allemand dans sa quête tourmentée d’absolu, de monde meilleur, de créativité jamais apaisée (« das ewige Werden ») : « en pantoufles, [les Hommes] penseraient en français et parleraient en français », affirme-t-il dans l’un de ses pamphlets.[4] Un voyage à Berlin, que Schickelé a mené en sa qualité de journaliste - pour subvenir aux besoins de sa famille, le poète s’était fait journaliste en 1904[5] - et la découverte déterminante de l’expressionnisme allemand l’avait conforté dans ce sentiment d’appartenance. Cette perception de soi a cependant été ébranlée par un autre voyage, effectué cette fois en France, où Schickelé avait découvert le militantisme politique. Au contact du système politique français, Schickelé était devenu un démocrate convaincu. Il a découvert l’importance de l’engagement politique à travers Heinrich Mann, qu’il avait rencontré personnellement à Paris. Celui-ci l’avait encouragé à mettre son art au service de la politique, plus précisément du journalisme politique. En France, les grands modèles de Schickelé ont été Emile Zola, travailleur de l’esprit qui a mis les armes de l’écriture au service de l’affaire Dreyfus, et Jean Jaurès, socialiste pacifiste, grand connaisseur de la culture allemande, en lequel Schickelé a vu un médiateur de la paix franco-allemande et le pilote de la démocratie européenne. Durant son séjour parisien, Schickelé avait rencontré Romain Rolland, qui a fasciné le jeune écrivain expressionniste. Dans son essai Die Grenze (1932), Schickelé lui a consacré quelques 40 pages.[6] Fils de bourgeois jacobins comme Schickelé, Rolland a partagé avec ce dernier le dégoût profond de la bourgeoisie et du militarisme. Comme Schickelé, Rolland a été un passeur de culture, introduisant en France la littérature et surtout la musique allemande. Une même admiration pour Jaurès, un profond humanisme, la croyance en la fonction rédemptrice de la culture, un même mépris des doctrines, des partis et de l’ « idolâtrie » politiques, ont uni Schickelé et Rolland, qui se sont engagé ensemble dans les mouvements pacifistes de leur temps. Le regard résolument tourné vers la France s’explique par la détresse historique dans laquelle s’était trouvé Schickelé, rebelle politique dans les années 1910. Comme bon nombre de jeunes révoltés allemands, il ne pouvait s’appuyer sur aucune tradition de lutte subversive, le régime impérial allemand brisant systématiquement toute velléité de lutte politique dans le pays. Pour combler ce vide politique, Schickelé a tôt eu pour ambition d’exporter via l’Alsace les principes de la République Française vers l’Allemagne impériale.[7] Mais à Maurice Barrès concevant l’Alsace comme une terre souffrante, vivant sous le joug de l’oppression allemande et à l’histoire toujours malheureuse[8], Schickelé opposait l’histoire joyeuse et positive de l’Alsace réunissant dans son passé la double culture franco-allemande et dont Schickelé imaginait l’avenir comme une locomotive de la « république européenne ». Selon Schickelé, c’était bien cet esprit qu’il fallait faire circuler en France et en Allemagne, non de pleurer les morts. Notre document joint fait part de la vitalité que Schickelé insuffle à son sol natal. Il utilise pour cela toute la vigueur du style expressionniste.

Schickele a conçu la dynamique de communication entre les Français et les Allemands comme un acte politique et quotidien.[9] Rédacteur en chef de la Strassburger Neue Zeitung en 1911, il y a réalisé une partie de ses ambitions et de ses rêves politiques. Il y a regroupé des journalistes et des écrivains français et allemands, parmi eux André Gide, Anatole France, Heinrich Mann, Hermann Hesse, Otto Flacke, et il y a divulgué sa conception de « l’alsacianité de l’esprit», une préoccupation qui l’a animé tout le long de sa vie. Pour aller de l’avant, et bâtir la république européenne future, il fallait faire de l’Alsace le centre d’une Kulturpolitik reliant le politique au culturel.[10] Schickelé n’était en rien régionaliste. Il ne s’est pas affirmé pour l’Alsace autonome, il a uniquement défendu la mission « européenne » qu’il lui a assigné.[11] Mais si l’idéal de Schickelé était une Europe unie, il n’aspirait aucunement à une Europe uniformisée. Chaque pays devait garder sa particularité, tout en se soudant dans la vaste communauté européenne. L’Alsace avait rôle de soudeur, avait mission de relier « les tempéraments français et allemands. » Ne l’avait-t-elle pas déjà fait dans le passé en produisant de grands esprits européens, des Otfried de Wissembourg, des Raimar de Haguenau, des Gottfried de Strasbourg, lesquels avaient su réunir l’esprit latin et l’âme germanique dans leurs œuvres ? Schickelé ne se voyait-il pas lui-même comme l’exemple type de l’écrivain composite, acceptant l’influence de la culture de l’autre côté du Rhin pour tempérer la sienne ?[12] Schickelé s’opposait ainsi aux intellectuels allemands, français ou/et alsaciens de son temps qui voyaient dans la « double culture » un danger d’hybridation et de dénaturation intellectuelles. Le juriste Robert Rebslob par exemple l’estimait stérilisante et peu viable. Selon lui, la culture était corollaire à l’appartenance à une seule communauté. Pour Schickelé, au contraire, la conscience communautaire et l’attachement à un sol étaient des contingences qu’il s’agissait de dépasser. L’Alsace d’avant 1914 était allemande ? Qu’elle le restait ! Cet « accident » de l’histoire était sans véritable importance, puisque dans le « jardin d’une beauté indescriptible » (dans le texte : « im himmlischen Garten […] zwischen Rhein und Vogesen »; « den unsäglich schönen Garten von den Vogesen zum Rhein ») qu’était l’Alsace, dans cet Eden futur, reposait l’avenir de l’Europe. L’Europe, que Schickelé imagine comme un « colosse roux » dans notre source : « ein rothaariger Koloß [wohnt] in diesem Land […]. Er drückt auf das kleine Land […]. Hier, wo die Absätze auf seinem Leibe drücken, schlägt das Herz Europas am unruhigsten…und auch am herzhaftesten. » Déjà, les habitants étaient prêts pour l’aventure européenne[13], conscients de leur « mission divine » qui n’était pas vaine utopie: « Ist es ein Wunder, wenn da jeder elsässische Bauer ein Europäer wenigstens insofern ist, als er darauf schwört, mit ihm könnte zugleich Europa geholfen werden? Der Reisende kann sich in jeder Dorfkneipe sagen lassen, daß die Deutschen und die Franzosen nur zusammenhalten brauchten, damit – nun, damit endlich Ruhe ins Land käme und außerdem mehr Sicherheit in die europäischen Verhältnisse. Daß sie nebenbei für die allgemeine Abrüstung schwärmen, versteht sich von selbst. Sie möchten Gewicht und Geruch jener Stiefel von märchenhaftem Umfang los sein! »

La déclaration de la Première Guerre mondiale a brisé les utopies de Schickelé comme les rêves de tous les pacifistes européens. Dans le document joint, Schickelé, avec toute la virulence expressionniste, fustige une guerre qu’il juge absurde, barbare et qui a détruit sa vision de la république européenne.[14] En Alsace, « hat nur die Garnison gewechselt. Die Grenzen sind geblieben ». Une fois de plus, la bêtise nationaliste a fait échouer la mission historique à laquelle la situation géographique, l’histoire et la tradition culturelle de l’Alsace a destiné cette dernière : être un trait d’union entre deux peuples, un pont de la réconciliation entre deux nations, une zone de contact amical entre deux cultures.

Après 1918, René Schickelé ne s’est plus réinstallé durablement en Alsace redevenue française. Revenu de son exil en Suisse, il s’est établi à Badenweiler en Forêt noire à partir de 1922, où il a écrit la plupart de ses œuvres littéraires. Déçu par tous les mouvements de rébellion et engagements politiques, l’écrivain s’est réfugié dans un apolitisme convaincu, prônant la primauté de l’esprit et de l’art sur les buts et les ambitions politiques. Fuyant le danger nazi dès 1933, Schickelé s’est exilé dans le sud de la France, à Sanary-sur-Mer, où il est décédé le 31 janvier 1940. Dans son exil, toutes ses tentatives de renaître comme poète en langue française ont échoué.

« Je crois que je ne me fatiguerai jamais de parler des Alsaciens »[15] avait-il avoué dans une note, même retiré des luttes politiques de son temps et quoique rejeté par une Alsace redevenue française en 1918, dans laquelle ses idées demeuraient incomprises. En 1918, les « patriotes » alsaciens avaient fait un accueil triomphant aux troupes françaises victorieuses. Les fêtes organisées en honneur de l'armée française, loin d’être spontanées, avaient été savamment orchestrées par la bourgeoisie alsacienne. Celle-ci, voyant flotter le drapeau rouge sur la cathédrale de Strasbourg dès novembre 1918 et se former en Alsace des conseils de soldats et d'ouvriers à l’instar des militants russes et allemands, avait estimé que la France était le meilleur rempart contre la révolution sociale. A la libération de l’Alsace, la classe sociale dominante avait alors hâté le processus d’intégration de la « région recouvrée » à la France. Pour le gouvernement français, les « manifestations de joie au retour à la France » avaient tenu lieu de plébiscite. Sans tenir compte des traditions politiques et culturelles de l’Alsace et des droits acquis sous le régime allemand, le gouvernement laïc, anticlérical et systématiquement centralisateur, avait appliqué les lois d’assimilation dans les écoles, le clergé, la justice et dans toutes les administrations alsaciennes. Socialiste en 1918, Schickelé avait salué les tentatives de révolution soviétique en Alsace. Notre source témoigne de sa profonde déception lors de l’échec du soulèvement ouvrier alsacien et de la mise en place de l’Etat centralisateur. Dans le texte, Schickelé constate avec amertume que l’Alsace a subi une double frontière en 1918 : une frontière territoriale et une frontière idéologique. « Die Grenze ist geblieben, wie sie immer Grenze war, ob das Elsaß im Handel der Parteien nach Osten oder nach Westen geschlagen ward […]. Heute bildet sie die Brustwehr zwischen dem sozialistischen und dem kapitalistischen Europa. Das Elsaß trägt sein Schicksal als das innerste Grenzland unseres Weltteils eine Zeit weiter […]. Wiederum handelt es sich, und diesmal wie noch nie, um den Kampf zweier Weltanschauungen, und weniger denn je um den Besitz eines Territoriums. »

Après le retour de l’Alsace à la France, Schickelé ne s’est plus engagé dans les affaires de sa région natale.[16] Mort en 1940, il n’a plus vécu le désastre que le nazisme a provoqué en Europe. Mais dès 1920, il avait vu que la seule alternative à la paix et à la réconciliation des peuples était la barbarie et la décadence, et au socialisme la dictature : « im nachkriegerischen Europa (hat sich) die Alternative zugespitzt: gemeinsamer Untergang oder gemeinsamer Neubau, Abdankung vor der Barbarei, in die Not und Verzweiflung uns stürzen könnten, oder gemeinsame Übernahme der Führung in Europa aus dem Chaos der Ordnung. Es gibt aber keine Ordnung, als die einer freiwachsenden Gemeinschaft, eines Sozialismus mit hellem, friedlichem Menschengesicht. »



[1] Fink, Adrien; Staiber, Maryse (éds.), Elsässer, Europäer, Pazifist. Studien zu René Schickele, Kehl 1984.

[2] Aux yeux de Schickelé, la mission politique et culturelle de l’Alsace rendait caduque la question de la langue. Sur ce sol européen, la langue française ou allemande serait adoptée selon le goût de chacun. Schickelé lui même a tiré profit du bilinguisme alsacien. Dès son adolescence, il a choisi la langue allemande, non par conviction politique, mais par goût pour cette langue. Voir par exemple Schickelé, René, Lettre à Madame Gidon, 29.1.1934, in: Kesten, Hermann (éd.), René Schickele. Werke in 3 Bänden, Cologne 1959, Volume 3, 164 : « Ah ! si je pouvais lui (à la France) parler en allemand ! Comme je sais bien le parler ! […] Quelle langue magnifique que l’allemand, quelle forêt magique ! Quelle musique […] En utilisant la langue française, je suis le Pauvre ! ».

[3] Schickelé, René (alias P. Lainé), Unser Kulturkampf, in: Der Stürmer. Halbmonatschrift für Literatur und Renaissance im Elsass, 15.07.1902.

[4] Schickelé, René, Jungelsässisches Programm, in: Das Neue Magazin, 26.11.1904 (numéro spécial consacré à l’Alsace).

[5] « J’étais journaliste, corps et âme », cité dans Schumacher, Jean-Jacques, Connaissance de René Schickelé, in : Allemagnes d’aujourd’hui 49 (1975), 164. En tant que journaliste, Schickelé a collaboré dans des revues allemandes (Das Neue Magazin, Die Weissen Blätter) et auprès de journaux français(Strassburger Neue Zeitung).

[6] Schickelé, René, Die Grenze, Berlin 1932, 183-219.

[7] Schickelé, René, Widmung, in: Schickelé, René, Schreie auf dem Boulevard. Essays, Berlin 1913.

[8] Le manifeste de Barrès : « Sur la conscience alsacienne », avait paru dans la Revue Alsacienne Illustrée en 1904. Schickelé en avait publié la traduction dans l’édition du 26 novembre 1904 de la revue DasNeue Magazin. Dans le même numéro, il avait fortement critiqué les positions de Barrès sur l’Alsace annexée.

[9] Le journaliste Schickelé a souvent fait part en Allemagne des événements français et vice-versa. Dans des essais, il a ainsi témoigné des grèves ouvrières en France, des mouvements pacifistes qui s’y sont dessinés, des conceptions révolutionnaires de Jaurès. Voir par exemple Schickelé, René, Ein Streik, in: Schickelé, Schreie auf dem Boulevard (voir note 7); Schickelé, René, Ein Mann spricht zum Volk, in: Schickelé, Schreie auf dem Boulevard (voir note 7).

[10] Schickelé, René, Strassburger Neue Zeitung, 23.11.1912, 1

[11] En 1911, Schickelé s’est engagé dans la bataille pour la Constitution en Alsace. Les controverses autour de la question lui ont donné la possibilité de mettre en pratique ses conceptions sur l’écriture engagée. Dans son journal Strassburger Neue Zeitung, Schickelé a mené une vaste campagne pour doter le Reichsland Elsass-Lothringen d’un parlement et d’une constitution au même titre que les autres Länder allemands. Toutefois, en s’engageant de la sorte pour sa région, le dessein de Schickelé était clair : la démocratisation de l’Alsace était une étape vers la démocratisation de l’Allemagne. La Constitution pour l’Alsace a été votée le 25 mai 1911. Concernant ce chapitre de l’histoire alsacienne, voir par exemple l’ouvrage encore très valable de : Mayer, Jean-Marie, Autonomie et politique en Alsace. La Constitution de 1911, Paris 1970. Au sujet des écrits de Schickelé sur la question de la Constitution de 1911, voir par exemple Schickelé, René, Rundreise des fröhlichen Christenmenschen, in: Wir wollen nicht sterben. Essays, Munich 1922, volume 3, 531-544, 532; Schickelé, René, Strassburger Neue Zeitung, 16.4.1911, 1.

[12] Le thème des deux cultures qui se complètent et se modèrent est récurrent dans l’oeuvre de Schickelé. Voir par exemple : Schickelé, René, Der Fremde, Berlin 1909; Schickelé, René, Meine Freundin Lo, Berlin 1911 (Berlin 1931). Voir également Fichter, Charles, Le terroir, la religion et l’Europe dans l’oeuvre « alsacienne » de René Schickelé: « Das Erbe am Rhein », in: Saisons d’Alsace 90 (1985) : Les grands courants de pensée en Alsace. Existe-t-il une « philosophie » alsacienne ?, 124-131.

[13] Voir également Schickelé, René, Meine Elsässer, in: Die Neue Rundschau, mars 1927, 241-260, 245.

[14] Criant haut son horreur de la guerre dans de nombreux articles et essais, Schickelé s’était attiré les foudres du gouvernement impérial. Pour échapper à la répression policière, il a du s’enfuir en Suisse où il a fait de la revue Die weissen Blätter l’étendard de son pacifisme.

[15] Schickelé, Die Grenze (voir note 6), 1.

[16] Au sujet de la situation en Alsace après 1918, Schickelé s’est contenté de désapprouver la politique de francisation menée par les gouvernements successifs dans la région. Il a condamné la ghettoïsation culturelle et le provincialisme intellectuel dans lesquels la politique doctrinaire française a plongé l’Alsace. En 1927-1928, dans un dernier sursaut de militantisme et quoique las des « luttes fratricides » dans sa région natale, Schickelé s’est immiscé dans les questions liées aux problèmes de transition que connaissait la province. Depuis 1918, la politique de francisation et d’ « assimilation à chaud » en Alsace selon les canons de la « République une et indivisible » avait provoqué un énorme malaise parmi la population alsacienne. Au milieu des années 1920, le « malaise alsacien » avait évolué vers un mouvement autonomiste résolu, rapidement réprimé par le gouvernement. Au cours du procès de Colmar contre les chefs autonomistes alsaciens en 1928, Schickelé s’est engagé à leur côté tout en restant critique par rapport à leur mouvement, dans lequel il avait vu avant tout une réaction de détresse intellectuelle du peuple alsacien pour préserver sa double culture. Mais il a condamné l’instrumentation du mouvement autonomiste par les partis politiques de droite et de gauche et averti des risques de dérapage du mouvement vers l’idéologie fasciste.



Littérature :

  • Bentmann, Friedrich, René Schickele. Leben und Werk in Dokumenten, Nüremberg 1974.
  • Fichter, Charles, René Schickelé et l’Alsace : jusqu’en 1914, Strasbourg 1980.
  • Fink, Adrien; Ritter, Alexander; Staiber, Maryse (éds.), René Schickele aus neuer Sicht. Beiträge zur deutsch-französischer Kultur, New York 1991.
  • Fink, Adrien, René Schickelé, Strasbourg 1999.
  • Mann, Thomas, Vorwort zu: Schickelé, René, Die Witwe Bosca, Berlin 1933, 1-13.

René Schickelé, Schreie auf dem Boulevard (1920), über sein Aufwachsen im Elsaß; [Ausschnitt][1]

Die Elsässer sind zur Abwechslung wieder Franzosen geworden. Die Franzosen stehen auf dem Standpunkt, daß damit alles beim alten geblieben sei, und sie haben recht.

Meine auswärtige Politik, wenn ich so sagen darf, besteht seit jeher darin, daß ich die Lage meiner Heimat, die mein persönliches Schicksal ist, als einen öffentlich wichtigen Fall behandle. Mag, was ich an politische Einsicht besitze, knapp meine Hand füllen, so ist es doch meine Hand, die Einsicht ist mir nicht vom wechselnden Himmel gefallen, sondern in mir gewachsen, so innig verbunden mit der Wirklichkeit, wie der Saft einer Pflanze mit Erde und Luft, die sie umgeben. Vielleicht ist der politische Wille, mit dem ich geboren bin, nichts als ein mehr oder minder vergeistigter Selbsterhaltungstrieb, ein fanatischer Subjektivismus. Wäre dem so, ich bildete keine Ausnahme in der Kreatur, und es fragt sich nur, wie dieser Selbsterhaltungstrieb sich zu der mich umgebenden Allgemeinheit verhält.

Hier kurz mein Fall.

Geboren und aufgewachsen im himmlischen Garten der Qual zwischen Rhein und Vogesen. Vater Elsässer, alemannischer Winzer mit Leib und Seele, Mutter Französin, die fromme Heiterkeit, die Sanftmut selbst. In unserm Rehberg war eine Festung eingewühlt, unterirdische Stadt voll dunkler Drohung. Ihre unsichtbaren Geschütze spielten in den Manövern dem Städtchen unten zum Bärentanz auf. Um diese Hölle zu bauen, hatten sie unseren Kastanienwald enteignet und in drei Tagen umgeschlagen. Jeder Weg führte vor ein mächtiges Gitter, vor dem ein finstrer Soldat mit geschultertem Gewehr stand. Zum Trost sagten sie uns, daß dies die stärkste Festung der Welt sei, und deshalb hieße sie „Feste Kaiser Wilhelm II.“. Die Kornfelder in der Ebene bargen zahllose Forts, von denen wir Kinder wußten, daß uns der schwarze Mann holen werde, wenn wir ihnen zu nahe kamen, denn in den großen rechteckigen Maulwurfshügeln, da wohnte er. An der Eisenbahn wechselten mit den Stationsgebäuden und den lustig umblühten Gartenhäusern der Bahnwärter merkwürdig regelmäßig und auch sonst unwahrscheinliche Gruppen von Akazien, Weiden, Birken, jungen Buchen ab. Wenn ein Windstoß sie öffnete, sah man kleine gelbe Schornsteine aus der Erde ragen. Auch diese Listen und Tücken, Batterien und Sperrwerke wußten wir nach ihrem Wert zu schätzen, so bukolisch sie sich gaben. Sie hatten sich zu oft vor uns blamiert im Winter, wenn die Bäume entlaubt waren. Da gesellten sich zu den Schornsteinen graublaue Eisentüren, Lauf- und Wassergräben und Reihen spitzer Eisenstäbe, die durch Stacheldraht verbunden waren, an den Ecken streckten eiserne Igel ihre Speere aus. Wieviel Fremde für uns, schwindelnde Ferne und nächste Feindschaft! Das seltsamste war, und es griff uns immer wieder ans Herz, wenn in dieser verwunschenen Geometrie Menschen auftauchten, zusammengedrängt und auseinanderlaufend wie steife Insekten. Sie putzten Geschütze und stellten lebende Linien auf rechteckigen Höfen. Vor ihnen hingen zwei, drei Striche im Leeren, die sichtlich die anziehende und abstoßende Kraft des Plus- und Minuspols in sich vereinigten. Sie schienen uns zur ewigen Einsamkeit verdammt.

In der Schule wurden wir beargwöhnt und gehaßt. Von unserem sechsten Lebensjahre an waren wir Verschworene auf Gedeih und Verderb gegen die Gewalt. Wir übten uns in unserer einzigen Waffe: dem Spott. Wir verschanzten uns in unserer einzigen Überlegenheit: der Familie. Sie besaß, was ihr gehörte: den unsäglich schönen Garten von den Vogesen zum Rhein und die ihm entwachsene und in vielen Geschlechtern gelebte Kunst des Daher- und Dahinlebens. Wir betraten nicht die Festungen der andern aus betonierter Erde, Eisen und befehlerischem Kehllaut, sie nicht die unsern, die im Unfaßbaren zutiefst gefügt im Blauen schwebten. Inzwischen besuchte man die Welt: Europa, und was jenseits an den Ozean grenzt. Kehrte man nach Hause zurück, so stellte man die Fortschritte fest in der Verwüstung unserer Städte durch stupide Ziegelbauten, in die wie durch ein Pumpwerk unaufhörlich Massen fremder Menschen mit Messern und Gewehren hineingeworfen wurden; wunderte man sich von neuem über die jungen Offiziere, diese bewaffneten und korsettierten Pennäler, die in den Bars sich dem Marsch der römischen Legionen anschlossen, in den Bordellen die Völkerschlacht gewannen und auf dem Bummel zwischen Frühschoppen und Mittagessen Kant, Goethe und Beethoven vertraten untadeligen Steißes, gegen den der Säbel schlug mit dem Pendelschlag des Weltgerichts. Punkt zwölf kam die Wachtmusik, aber die Elsässer Mädels konnten sich für den „Es-ist-erreicht-Schnurrbart“ der hervorstechenden Figuranten nicht erwärmen. Je mehr Bier die Eroberer tranken, um so vergnügter hielten die Einheimischen sich zu ihrem Wein, unsere Protestanten wurden fast katholisch vor Abneigung gegen die gefrorenen Stockfische auf ihren Kanzeln, die jeden Sonntag die himmlischen Heerscharen zum Appell auf dem Kasernenhofe antreten ließen, um vom König von Preußen die letzten Erleuchtungen entgegenzunehmen. Grabsteingraue Konservative stimmten für den Sozi, weil deren Zeitung einen sächsischen Major des unsittlichen Lebenswandels überführt hatte.

Nirgends wie im Elsaß sah man so deutlich: die unternehmungslustigen Leute können ihre überschüssige Kraft nicht loswerden, sie leben sich nicht recht aus, überall stoßen sie an, sie wissen sich nicht mehr zu helfen. Was soll ein Soldat machen, wenn er sich nicht mehr zu helfen weiß? Krieg.

Sie machten den Krieg. Nicht böswillig, bewahre. Sie brachten das Kind zur Welt, nachdem es ausgetragen war.

So kam es, daß ich, als der Krieg ausbrach, eine Zeitlang nicht wußte, sollte ich mich totlachen oder eine ernsthafterer Todesart wählen.

Da ich jede Nacht meine Mutter mit dem Bajonett aufspießte und in lauter blutige Greuel verwickelt war, deren Geschmack ich am Tage nicht verlor, begann ich, Schlafmittel zu nehmen und wurde krank. Schließlich riß ich nach vorn aus, wie einer das Wesen der Tapferkeit bezeichnet hat, und schlug mich zur Gewißheit durch, daß die Welt diesmal noch nicht unterginge. Wohl aber, endlich und endgültig, die Zeit der imperialistischen Romantik. Die Riesenpyramide, zu der Millionen Sklaven die Steine herangeschleppt hatten, Geschlecht um Geschlecht, in abertausend Jahren, sie stand vollendet, und das Blut Isaaks, den der alte Abraham schlachtete, überflutete sie, als stürzte es unerschöpflich aus der Sonne.

Rußland hat seine Gesellschaftsordnung, das übrige östliche Europa die Form seiner Regierung geändert. In meiner Heimat hat nur die Garnison gewechselt.

Die Grenze ist geblieben, wie sie immer Grenze war, ob das Elsaß im Handel der Parteien nach Osten oder nach Westen geschlagen ward. Bis zum gestrigen Tag schied sie das autokratische Europa vom liberalen. Heute bildet sie die Brustwehr zwischen dem sozialistischen und dem kapitalistischen Europa. Das Elsaß trägt sein Schicksal als das innerste Grenzland unseres Weltteils eine Zeit weiter: wie sich die Verschlingung der Kämpfenden hier immer bis zum Krampf spannte und also nackt ans Licht sprang, so stehen heute ein Proletariat, das die Arbeiter- und Soldatenräte der Revolution gekannt hat, und ein siegreicher Militarismus blitzhell verstrickt und zutiefst verkriegt, bevor noch der erste Donnerschlag gerufen hat.

Wiederum handelt es sich, und diesmal wie noch nie, um den Kampf zweier Weltanschauungen, und weniger denn je um den Besitz eines Territoriums.

Anläßlich des Zaberner Spektakels schrieb ich, als ein preußischer Pole mir zurief, daß „die Reihe“ nun an uns Elsässern „sei“:

„Die Reihe an uns?

Wann haben wir denn aufgehört an der Reihe zu sein?

Seit vierzig Jahren wohnt bis über die Augen bewaffnet ein rothaariger Koloß in diesem Land, er hockt auf dem Rand der Vogesen, um seine grobgestiefelten Beine in der Ebene die Rebhügel hinauf kommen und gehen die Jahreszeiten. Er drückt auf das kleine Land wie auf die Mitte einer riesigen Schaukel – ja, und das ist denn auch das berühmte europäische Gleichgewicht. Und es geschieht wenig in der Welt und nichts Wichtiges, ohne daß man hier, wo des Kolosses Stiefel stehn, ein leises oder hartes Schwanken spürte. Ein politischer Seismograph könnte die geringsten Erwütterungen der ‚Weltlage‘ verzeichnen. Hier, wo die Absätze auf seinem Leibe drücken, schlägt das Herz Europas am unruhigsten…und auch am herzhaftesten. Ist es ein Wunder, wenn da jeder elsässische Bauer ein Europäer wenigstens insofern ist, als er darauf schwört, mit ihm könnte zugleich Europa geholfen werden? Der Reisende kann sich in jeder Dorfkneipe sagen lassen, daß die Deutschen und die Franzosen nur zusammenhalten brauchten, damit – nun, damit endlich Ruhe ins Land käme und außerdem mehr Sicherheit in die europäischen Verhältnisse. Daß sie nebenbei für die allgemeine Abrüstung schwärmen, versteht sich von selbst. Sie möchten Gewicht und Geruch jener Stiefel von märchenhaftem Umfang los sein!“

Davon habe ich heute, nachdem die einen Stiefel vor den anderen davonmarschiert sind, nichts zurückzunehmen, - und nur hinzuzufügen, daß die Notwendigkeit einer Verständigung zwischen Deutschland und Frankreich im selben Maße gewachsen ist, wie sich mit jedem Schlag und Gegenschlag im Verlaufe des Krieges und mit jeder Zuckung der Nationen und Klassen im nachkriegerischen Europa die Alternative zugespitzt hat: gemeinsamer Untergang oder gemeinsamer Neubau, Abdankung vor der Barbarei, in die Not und Verzweiflung uns stürzen könnten, oder gemeinsame Übernahm der Führung in Europa aus dem Chaos der Ordnung. Es gibt aber keine Ordnung, als die einer freiwachsenden Gemeinschaft, eines Sozialismus mit hellem, friedlichem Menschengesicht.


[1] Schickelé, René, Schreie auf dem Boulevard, Berlin, 1920, S. 9-15 (Erstauflage Leipzig 1913).


Für das Themenportal verfasst von

Christiane Kohser-Spohn

( 2009 )
Zitation
Christiane Kohser-Spohn, « Hier Allemand, aujourd’hui citoyen français, je m’en contrefous » René Schickelé (1883-1940), alsacien, européen, pacifiste, in: Themenportal Europäische Geschichte, 2009, <www.europa.clio-online.de/essay/id/fdae-1483>.
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