L'école patriotique d'après 1871

Marcel Spivak (†) untersucht das durch die Niederlage Frankreichs von 1870/71 hervorgerufene Aufflammen des Patriotismus und seine Auswirkungen auf die Organisation des Grundschulwesens. Mehrere maßgebliche Politiker wie Thiers, Jules Simon, aber auch Gambetta, sahen in der Neuorganisation der Schulbildung die Grundbedingung für eine nationale Erneuerung. Im Zentrum dieser patriotischen Bildung stand die Moral, hinzu kam die Einführung von Gymnastik und einer weiteren sportlichen Disziplin.[...]

L’école patriotique d’après 1871

Von Marcel Spivak

Dans cette étude, Marcel Spivak (†) analyse le sursaut patriotique que déclenche la défaite française de 1870/71 et ses répercussions sur l’organisation de l’enseignement primaire. Inquiets de « l’avenir de la race », plusieurs hommes politiques de premier plan, Thiers, Jules Simon mais aussi Gambetta, voient dans la refonte de cet enseignement la condition du renouveau national. Plaçant la morale au cœur de ce que devrait être une éducation patriotique, ils y ajoutent l’introduction de la gymnastique et d’une discipline sportive inspirée du modèle prussien, cause supposée de la suprématie allemande. Parallèlement la Troisième République s’attèle à une réorganisation de l’armée en profondeur. Ainsi voient le jour un peu partout sur le territoire des sociétés de gymnastique et de tir dispensant une instruction paramilitaire ainsi que des bataillons scolaires qui doivent être le relais de l’instituteur auprès de larges couches de la population. Tant vanté après 1871, l’exemple prusso-allemand fut finalement banni par une société française en mutation au tournant du siècle et qui développe une autre approche des pratiques éducatives corporelles et sportives.

Marcel Spivak (†) untersucht das durch die Niederlage Frankreichs von 1870/71 hervorgerufene Aufflammen des Patriotismus und seine Auswirkungen auf die Organisation des Grundschulwesens. Mehrere maßgebliche Politiker wie Thiers, Jules Simon, aber auch Gambetta, sahen in der Neuorganisation der Schulbildung die Grundbedingung für eine nationale Erneuerung. Im Zentrum dieser patriotischen Bildung stand die Moral, hinzu kam die Einführung von Gymnastik und einer weiteren sportlichen Disziplin. Letztere waren vom preußischen Vorbild angeregt, von dem angenommen wurde, dass es die Grundlage der deutschen Überlegenheit sei. Gleichzeitig reformierte die III. Republik grundlegend ihre Armee. In diesem Rahmen entstanden überall in Frankreich Gymnastik- und Schützenvereine, die eine paramilitärische Ausbildung vermittelten, ebenso wie Schulbataillone, die als Mittler zwischen den Lehrern und der breiten Bevölkerung dienten. Das nach 1871 so hoch gelobte preußisch-deutsche Modell wurde um die Jahrhundertwende wieder aus der sich verändernden französischen Gesellschaft verbannt, und ein neuer Zugang zu sportlicher und körperlicher Erziehung entwickelte sich.

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Le thème de l'école patriotique a fait l'objet de nombreux travaux qu'il n'est guère possible d'énumérer et il ne représente qu'une partie de l'école républi­caine tant dans la chronologie que dans les contenus.[1] Le titre que j'ai choisi n’est en fait qu'un point de départ car si, en l'occurrence, il est effectivement question de « l'instituteur prussien », celui-ci doit être considéré comme le reflet déformé d'un exemple idéalisé et faussement symbolisé. Il suffit de rap­peler, si tant est qu'il en est besoin, l'attraction-répulsion qui a existé entre l'Allemagne et la France, notamment dans ce qu'on dénomme aujourd'hui les sciences humaines.[2] Mon pro­pos, sans doute, pourra paraître à certains ne pas se hausser à ce niveau ; pourtant, dès avant la défaite de 1870–1871, dont la Commune est inséparable, les regards de quelques hommes de ce qu'à l'époque, et pendant encore des dizaines d'années, on appelait « l'avenir de la race », se dirigèrent vers l'Allemagne. On pénètre dès lors dans un processus qui ne vise rien moins que le renforcement du capital humain de la France et qui relève, en définitive, de la défense nationale.

Je n’irai pas au delà de 1914 mais il est tout aussi possible de suivre ce pro­cessus jusqu'à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, sous d'autres for­mes, explicité par d'autres discours. Dès avant 1870, peut-être sous l'influence plus ou moins directe de Sadowa (ou Königgrätz), l'un des grands zélateurs de l'éducation physique en France, Eugène Paz, s'élevait contre le désintérêt porté en France envers les bienfaits de l'exercice corporel.[3] Ne portait-on pas plus d'attention à l'élevage des chevaux de course qu'au respect d'une « race » trop souvent mise en danger par un mode de vie qui ne tenait aucun compte des règles qui, dans la zootechnie, procuraient de bons résultats ? Si Darwin était encore quasi inconnu, le lamarckisme restait très présent et nombre de zélateurs de ce que l'on appelait une gymnastique virile, inspirée du modèle militaire, fondaient leur théorie sur ce qu'ils voulaient bien en retenir.[4] Pour la bourgeoi­sie, l'éducation devait être sévère, rigide, éloignée de tout confort et si l'on a raillé le lycée-caserne napoléonien, c'est bien sous le Second Empire qu'il a mérité son titre.[5] D'ailleurs, dans ce domaine, y eut-il vraiment une franche césure après 1870–1871 ? Ne s'est-elle pas produite quelque dix ou quinze ans plus tard ? Je n’ai fait cette courte et incomplète digres­sion que pour rappeler l'arrière-plan sur lequel s'établira la gymnastique militaire, considérée par les éducateurs et certains hommes politiques, et non des moindres, comme la solu­tion à la notion, encore diffuse, mal formulée, de dégénérescence de la « race » – on connaît la longévité de ce mythe. D'ailleurs, l'exemple prussien n'est-il pas à imiter pour s'opposer à ce ramollissement des mœurs, à « l’énervement des tempéraments » pour reprendre la terminologie alors en usage ?[6]

En 1868, Victor Duruy, alors ministre de l'Instruction publique, constitua une commission chargée d'étudier l'enseignement de la gymnastique, c'est-à-dire ce qu'on appelle Éducation physique depuis ... 1910, en Autriche, en Bel­gique, en Suisse et en Allemagne. Le docteur Hillairet, médecin de l'hôpital Saint-Louis en rédigea un rapport fort apprécié et Eugène Paz, membre influent de cette remar­quable commission composée de grandes personnalités, revint débordant d'en­thousiasme et d'admiration de ce qu'on lui montra en Alle­magne.[7] Il n'apprécia peut-être pas le caractère par trop militaire de la gymnasti­que des jeunes filles mais en revanche, dans son rapport à Victor Duruy, il laisse apparaître à la fois ses aspirations et ses observations, dont la portée ne sera révélée que quelques années plus tard :

« [...] la cause la plus immédiatement déterminante de l'ascendant pris par la Prusse à la suite des grands événements de 1866, peut être attribuée aux bienfaits de l'éducation gym­nastique [sic] que l'on reçoit en Prusse, et qui a été jusqu'à ce jour, complètement négligée en Autriche [...] ».[8]

Même le nom du Turnvater Jahn est mentionné dans le rapport du docteur Hillairet, pour ses activités patriotiques : il ne faut pas oublier qu'il personnifie une des figures légendaires de la résistance prussienne à Napoléon Ier et ce, en partant justement de sa gymnastique, pourtant si décriée par les éducateurs fran­çais qui ne craignaient pas les paradoxes. Eugène Paz, dans son livre monument qu'est « La Gymnastique obligatoire », souhaiterait que l'on aille plus loin encore que chez « nos voisins » (Prusse et Saxe) où, pourtant, les exercices militaires « sont portés à un si haut degré de perfection ».[9]

Deux ans plus tard, comment utilisera-t-on cette argumentation, sera-t-on aussi laudatif envers les méthodes prusso-allemandes ? Le cadre de cette com­munication ne permet pas de faire autre chose qu'évoquer le choc brutal provo­qué par la chute du Second Empire et les événements de la Commune, cette dernière ayant peut-être tout autant ébranlé la bourgeoisie et ses certitudes. Il fallait donc chercher les causes de cette catastrophe inattendue et philosophes, penseurs, histo­riens mêmes voulurent les chercher dans une dégradation des valeurs morales les plus sacrées provoquées, selon certains d'entre eux, par l'esprit néfaste des temps, la corruption des mœurs : il était encore trop tôt pour que l'on se penche sur les déficiences des structures militaires de Napoléon III.[10] D'ailleurs les Français ne s'étaient-ils pas bien battus ? Le temps de l'expia­tion était venu[11] et une des options élues pour extirper le mal rampant et qui a semblé réunir sur soi toutes les solutions aux dérives du temps a été « l'éducation ». Relativement tôt, le 15 décembre 1871, Thiers et Jules Simon, alors ministre de l'Instruction publique, présentèrent un projet de loi sur l'in­struction primaire qui, oublié ou noyé dans le flot des événements politiques, dresse pourtant l'essentiel du programme scolaire de la IIIe République.[12] Rappe­lons que dans l'esprit des hommes politiques de cette époque, il ne concernait que l’instruction primaire. De ce fait, Thiers insiste sur la nécessité pour la France de rattraper le retard dans le domaine de la vulgarisation des premiers éléments de l'instruction où la Prusse et la plupart des États alle­mands, estiment-ils, précédent la France. Il est vrai que la Suisse, la Hollande et l'Écosse elle-même sont évoquées. Mais surtout, c’est sur la morale que l'ac­cent est mis : « qui doit être l’objet suprême de nos efforts ». Et puis, « faire passer dans les habitudes nationales les exercices de la gymnastique ». On a là les élé­ments fondamentaux de ce qui deviendra l'éducation patriotique et l'on glissera aisément dans les éléments de l’instruction civique, les formes d'un patriotisme parfois teinté de nationalisme.[13] En tout cas, on écarte encore résolu­ment l'obliga­tion scolaire.

Gambetta était tout autant persuadé qu'il était devenu nécessaire que l'édu­ca­tion devînt une priorité nationale et, dans un discours flamboyant qu'il tint le 26 juin 1871 à Bordeaux devant les délégués républicains de la Gironde, il estima lui aussi que « nos adversaires » ont vaincu les Français car ils « avaient mis de leur côté la prévoyance, la discipline et la science ».[14] Pour lui, aux côtés de l’instituteur doivent se tenir le militaire et le gymnaste et il n'hésite pas à dire que « lorsqu'en France un citoyen est né, il est né un soldat ».[15] Mais ces propos seraient cependant amputés de toute leur prégnance si l’on n'ajoutait ces paroles restées fameuses et qui inspirèrent, pendant un temps du moins, les artisans de la Revanche :

« Aujourd'hui, l'intérêt de la patrie nous commande de ne pas prononcer de mots impru­dents, de clore nos lèvres, et de refouler au fond de nos cœurs nos ressentiments, de reprendre à pied d'œuvre ce grand ouvrage de la régénération nationale ».

Et le 16 novembre 1871, martelant le thème, il dira aussi « et ne parlons jamais de l’étranger » car ce serait indigne d'un vaincu. Viendra une période où l'on rejettera avec toutes sortes d'arguments cette phrase d'admiration des causes, réelles mais surtout supposées, de la suprématie prusso-allemande. Ajoutons qu'on n’établissait aucune distinction entre les représentants des différents États alle­mands, les Prussiens étant considérés dans la population comme les plus cruels (parfois jusqu'en 1914) : on n’était guère éloigné des réflexions et conceptions des grands intellectuels de l'après 1870–1871.[16] Dans la ligne patrio­tique tracée par les premiers artisans de ce qu'on a appelé la Revanche, commencèrent à se créer des sociétés de gymnastique et de tir sur la base du volontariat, d'importance diverse et réparties sur le territoire en fonction de facteurs socio-économiques et géogra­phiques, mais dues à l’initiative privée. Elles se regroupèrent assez tôt ; en 1873 fut fondée l'Union des Sociétés de gymnastique de France, en 1874 fut créé le Club Alpin Français et, en 1886 l'Union des Sociétés de Tir de France par exem­ple. Elles ne représentèrent véritablement de « lobbies » que vers 1885–1890 mais atteignirent rarement au niveau national. Leur objectif n'est pas aussi primaire qu'il a pu apparaître car si l’instruction dispensée dans ces multiples sociétés visait à former des citoy­ens-soldats, selon le mot d'ordre des patriotes, cette forme d'instruction para­militaire devait dépasser le court terme.

Les Républicains ne se contentèrent pas de discours dont les extraits pré­cités peuvent fournir un aperçu ; ils s'attelèrent à une reconstitution de l’armée dont la profondeur et le caractère devaient éradiquer les fondements idéologi­ques autant que ses structures déficientes.[17] Dans ce contexte, la durée du temps passé sous les drapeaux et dans la réserve revêtait une importance capitale. En effet, les législa­teurs firent apparaître un facteur nouveau : s'il fallait pouvoir assurer la couverture des frontières et mettre en ligne une masse au moins égale, mais surtout supé­rieure à celle de l’adversaire, il fallait également que le citoyen soit productif et ne soit plus aussi longtemps pris par les obligations militaires que sous l'Empire. Il fallait cependant aller au delà de ce que pou­vaient accomplir les associations et fédérations patriotiques et instaurer très tôt, légalement, une véritable préparation militaire qui, engagée dès l'école pri­maire, poursuivie ensuite, fournirait à l'armée des recrues « débourrées ».[18] C’est ainsi qu'en novembre 1880 naît l'idée de former à Paris des bataillons composés d'élèves des écoles communales de Paris, sous l'impulsion d'édiles qui, en l'occurrence, puisèrent leur inspiration dans la grande Révolution de 1789. C’est ainsi que l'on aboutit au décret du 6 juillet 1882 portant création des Bataillons scolaires et complété par un arrêté relatif au tir dans les établis­sements d'instruction primaire ou secondaire.[19] Cette même année fut promul­guée la loi sur l'enseignement obligatoire et la laïcité (28 mars) et, ce qui reflète une phase de renouveau du nationalisme français, Henri Martin et Paul Dérou­lède fondèrent la Ligue des Patriotes. C’est pourquoi, si l'on relève encore quelques allusions à l'exemple de « nos adversaires » en matière d'enseigne­ment patriotique, il n’est plus de mise de s'y référer. Désormais, idées et conceptions doivent être nationales et le passé de la France comporte suffi­samment de preuves des capacités qu'elle possède pour ne pas, ne plus s'inspi­rer de l'étranger. Pour Aristide Rey, dont nous suivons le rapport, ce serait faire preuve d'antipatriotisme. Il ne fut pas le seul à le penser car à l'arrière-plan s'annonce le boulangisme. Il n’est pas lieu ici d'exposer ce que furent ces Bataillons d'enfants âgés de 10–12 ou 13 ans, habillés de costumes marins, équipés de fusils en réduction, manœuvrant parfois sous les ordres d'officiers et de sous-officiers ou de gardes-champêtres et qui furent le clou des fêtes du 14 juillet. Nous en retiendrons que les ministères de la Guerre, de l'Intérieur et de l'Instruction publique en furent responsables et que l'inspection de ces groupe­ments d'enfants (les scolos) fut confiée à un général, preuve de l'importance accordée à cette institution.[20] Compte tenu du caractère courtelinesque qu'elle finit par revêtir, elle sombra dans le ridicule et disparut vers 1890[21] ; elle n’en reste pas moins la première expérience nationale de militarisa­tion de la jeu­nesse et on n'en retrouvera la mise en application avec les moyens corres­pondant à leur époque que sous Mussolini, avec les Ballilas ... et la Hitler­jugend. Il est difficile aujourd'hui de prendre l'exacte mesure de l'exacerbation du nationalisme français dont le caractère n’était ni voulu, ni prévu par ses ini­tiateurs, Jules Ferry en tête. Mais puisqu'on reste dans un jeu de miroirs, il est curieux de constater que de l'autre côté du Rhin, les gymnastes allemands ne semblent pas avoir prêté une quelconque attention à l'aventure des Bataillons scolaires. On sait cependant que l'agitation nationaliste (ou patriotique ?) qui sous-tendait les Bataillons scolaires inquiéta le gouvernement impérial. De même, il semble bien qu'on n'avait aucune idée, chez les gymnastes français, de l'importance atteinte par la Deutsche Turnerschaft, pas plus que de l'action parallèle conduite en Prusse vers 1890.[22] Cette ignorance réciproque caractérise d'ailleurs cet aspect du phéno­mène admiration‑répulsion évoqué plus haut. Si les gymnastes et « préparatistes » français pratiquaient certains aspects du militarisme, ces formes étaient loin d'être aussi exacerbées qu'en Prusse de Guillaume II.[23] Existait-il dans l'Allemagne wil­helmienne cette littérature légère, moqueuse, parfois mordante dans ses critiques antimilitaristes qui a pu créer un colonel Ramollo ou le sapeur Camember ? Y-eut-il un Lucien Desca­ves (1861–1949) ou un Jean-Pierre Lavergne qui, en 1903, avec son Jean Coste, ou l’instituteur de village, démythifiait cette fonction ? Pou­vait-on ima­giner en Prusse un Georges Courteline (1858–1929) ? Certes, il y eut l'aventure du Hauptmann von Köpenick et, dans une certaine mesure, les aspects ridicules du militarisme prussien pris pour cible par le Simplicissimus.

C’est cette Leichtfertigkeit française qui, justement, créait cette diffé­rence entre les pratiques éducatives (ou didactiques) françaises et allemandes en matière d'éducation patriotique. C'est pourquoi l'exemple prusso-allemand tant vanté et prôné après 1871 fut non seulement repoussé mais honni par une société abordant une phase de mutation qui toucherait inévitablement l'appro­che des pratiques corporelles. On s'achemine progressivement, vers 1909, vers ce qu'on a appelé la guerre des doctrines en éducation physique qui devait modifier – non sans pannes et réticences – le regard porté sur l'enfant et le jeune adolescent.[24]

Le sport britannique viendra ébranler la prédominance du drill à l'alle­mande qui caractérisait la gymnastique « militarisante » des zélateurs de l'édu­cation patriotique et, à partir du tournant du siècle, la tendance s'accentuera. Mais là n’est pas notre propos. Pourtant, même si la ligne bleue des Vosges n’attirait plus tous les esprits, c'est à une Allemagne menaçante et agressive que se réfèreront d'autres patriotes : les rapporteurs du budget de la guerre devant la commission de la Chambre des députés. Il en allait de même au Sénat. Et cela, chaque année jusqu'à la Grande Guerre et s'il était un exemple à suivre, encore une fois, c’était celui de l'Allemagne, d'un Reich qui gonflait toujours plus son budget militaire.[25] Et tou­jours, mais dans ce cas pour impressi­onner les parlementaires, c’est en mettant en exergue des exemples tendant à démontrer, dans une perspective inversée, l'inca­pacité de la France à s'imposer la rigueur allemande. Paradoxalement, cette démarche laissait entre­voir les fluctuations de l'état d'esprit de la population à l'égard de l'Allemagne, dont le tracé ne suivait pas une ligne ascendante régu­lière.[26] Malgré les crises de 1906 et 1911, la fréquentation des sociétés de tir et de gymnastique, relayées à partir de 1909–1910 par des sociétés de préparation mili­taire (sociétés agréées par le gouvernement ou SAG) plus rigoureuses, ne connut pas de pous­sée significative.

Certes, il serait sans doute excessif de vouloir suivre la courbe des pous­sées de nationalisme et de chauvinisme – dirigées contre l'Allemagne non sans oublier que la Grande-Bretagne en fut tout autant la cible vers 1900 – d'après le dévelop­pement des sociétés patriotiques, militaristes. Il n’en reste pas moins que le natio­nalisme irait se porter sur le sport, support alors nouveau mais qui prit une impor­tance singulière, pouvant désormais représenter aux yeux des protagonistes majeurs la vitalité et l'essor d'une nation. En 1916 en effet devai­ent se dérouler à Berlin les Jeux Olympiques et le sport français serait alors confronté à un indica­teur de la puissance allemande qu'il fallait redouter. Aussi, dès 1912, après les Jeux de Stockholm, vit-on se développer dans un milieu de publicistes d'abord restreint, ce qui a pu passer comme un renouveau du natio­nalisme français et qui s'étendit à une bonne partie de l’opinion publique.[27] Déjà se retrouvaient à l'œuvre tous les éléments qui, d'une part, alimenteraient la propagande de guerre et d'autre part, ceux qui contribueraient à forger l'Union sacrée, du moins pendant un temps. Aussi est-on passé en une quarantaine d'années de l'admiration contrainte à la dérision et l'aversion, sinon à des ressentiments diffus, ce mythique institu­teur prussien se fondant graduellement dans une nation où doit nécessairement se développer l’ennemi héréditaire. Les historiens se sont depuis longtemps interro­gés sur les facteurs moraux (à défaut d'autre terme) qui ont permis aux combat­tants, français en l'occurrence, de supporter les plus dures étapes de la Grande Guerre malgré la grave crise de 1917.[28] Peut-être peut-on en trouver des racines dans les milliers de sociétés de tir, de gymnastique et de sport créées après la défaite de 1870 où, ballottée entre Paul Déroulède et Courteline, la devise Ludus pro Patria prit tout son essor. En tout cas, il semble bien qu'avant le tournant du siècle et jusqu'à 1914, si le patriotisme fut cultivé, ce fut dans le cadre de ce que l'on pourrait appeler éducation civique, d'où la culture de la haine envers un ennemi, jamais nommé, n’apparaît pas.[29] Cette culture est à cher­cher ailleurs : elle ne tarda pas à exprimer sa virulence.



[1] Furet, François ; Ozouf, Jacques, L'alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, 2 vol., Paris 1977 ; Chevallier, P. ; Grosperrin, B. ; Maillet, J., L'enseignement français de la Révolution à nos jours, 2 vol., Paris 1968 ; Ozouf, Mona, L'École, l'Église et la Républi­que 1871–1914, Paris1963.

[2] Renan, Ernest, La réforme intellectuelle et morale, Paris s.d., p. 2–3 ; Leiner, W., Das Deutsch­landbild in der französischen Literatur, Darmstadt 1989.

[3] Paz, Eugène, La gymnastique obligatoire, Paris 1868, p. 67.

[4] Jacquemet, Dr., De l'entraînement chez l'homme au point de vue physiologique, prophylacti­que et curatif, Paris 1867 ; aussi, texte méconnu mais intéressant : Esquiros, Alphonse, L'An­gleterre et la vie anglaise, in : Revue des deux Mondes, mai 1868.

[5] Laprade, Victor de, L'Éducation homicide. Plaidoyer pour l'enfance, Paris 1868, introduc­tion p. VII ; Gache, F., Collégiens et familles, Paris 1906, p. 4–5, 7.

[6] Paz (note 3), p. 67.

[7] Commission instituée par arrêté du 15 février 1868, présidée par Victor Duruy. Cette même année, M. Wurtz, doyen de la faculté de médecine fut chargé d'étudier les établis­sements scientifiques des principales universités allemandes.

[8] Paz (note 3), notamment p. 62.

[9] Ibid., p. 113.

[10] Carbonnel, Charles-Olivier, Histoire et historiens. Une mutation idéologique des histo­riens français 1865–1885, Toulouse 1976, p. 476, notes 23 à 28.

[11] Mayeur, Jean-Marie, Les débuts de la IIIe République 1871–1898, Paris 1973, p. 12.

[12] Voir Journal Officiel de la République française, 1er janvier 1872, annexe no 714, séance du 15 décembre 1871.

[13] Pour quelques exemples typiques, voir Arnaud, Pierre (dir.), Les athlètes de la Républi­que, Toulouse 1987, notamment p. 29.

[14] Voir Discours et plaidoyers choisis de Léon Gambetta, notice biographique de J. Reinach, Paris 1909, p. 66–69, 70–71.

[15] Ibid., p. XIX.

[16] Bréal, Michel, alors professeur au Collège de France et qui devint inspecteur général de l'ensei­gnement supérieur, en est un exemple. Il fut l'un des premiers à citer l'exemple du re­nouveau de la Prusse après Iéna. Voir Bréal, Michel, Quelques mots sur l'instruction pu­blique en France, Paris 1872, notamment p. 2–3.

[17] À ce sujet, voir Contamine, Henry, La Revanche 1871–1914, Paris 1957 ; Nicot, Jean, La Revanche 1871–1914, in : Revue Historique des Armées 3 (1971), p. 51–63 (très « patriotard »).

[18] À titre d'exemple, mais on peut en ajouter beaucoup d'autres : Proposition de loi relative à l'organisation des compagnies d'instruction militaire pour les jeunes gens âgés de 17 ans et au-dessus, Sénat, Journal Officiel, Débats parlementaires. Déposé par le sénateur des Vosges (Georges) et l'historien Henri Martin. Peut-être retrouve-t-on ici le président de La Ligue des Patriotes avec, en sous-main, Paul Déroulède.

[19] Voir Ville de Paris, Commission administrative spéciale (...), Rapport présenté à Monsieur le Préfet de la Seine par M. Aristide Rey, conseiller municipal.

[20] Voir SHAT, Général de division Jean-Joseph Jeanningros, nommé par décision ministé­rielle du 6 avril 1883.

[21] Le clergé fut d'emblée opposé aux Bataillons scolaires et la presse catholique et dite « réactionnaire » les fustigea non sans humour, mais ses railleries portaient juste. L’attitude de l'Église changera vers 1900 et favorisera, elle aussi, l'éducation patriotique.

[22] Voir Der Kampf um die Jugend zwischen Volksschule und Kaserne. Ein Beitrag zur Jugend­pflege im wilhelminischen Reich 1890–1914, in : Militärgeschichtliche Mitteilun­gen MGM 1 (1971), p. 97–142.

[23] Schubert-Weller, Chr., Kein schöner Tod. Die Militarisierung der männlichen Jugend und ihr Einsatz im Ersten Weltkrieg 1890–1918, München 1998, notamment p. 56, 67.

[24] Nombreux sont les travaux sur cette question, nous citerons simplement : Arnaud, Pierre (dir.), Le corps en mouvement, Toulouse 1981.

[25] Citons Camille Pelletan en 1899 (séance du 4 juillet) et André Messimy en 1906 (séance du 13 juillet).

[26] Rebérioux, Madeleine, La République radicale ? 1898–1914, Paris 1975 ; Duroselle, Jean-Baptiste, La France et les Français 1900–1914, Paris 1972.

[27] Voir par exemple ce qui passa comme une « enquête sociologique » : Agathon, Les jeunes gens d'aujourd'hui. Le goût de l'action, la foi patriotique, une renaissance catholique, le réalisme politique, Paris 1913 ; Rey, Étienne, La Renaissance de l’orgueil français, Paris 1912 ; Une retraite au Collège d'athlètes, in : La Revue de Paris, t. 5, septem­bre‑octobre 1913, p. 300–324.

[28] Renouvin, Pierre, L'opinion publique et la guerre en 1917. Colloque sur l'année 1917, in : RHMC, t. 15, janvier‑mars 1968. Et aussi, une belle étude in : Raithel, Thomas, Das Wunder der inneren Einheit, partie A : Öffentlichkeit im Kontext von Gesellschaft und politischem System (Pariser historische Studien), Bouvier 1996, notamment p. 15.

[29] Voir le modernisme d'un manuel à l'usage des élèves des SAG tel que celui du lieutenant-colonel Hatton qui connut 28 éditions jusqu'en 1914 et fut vendu à 25 000 exemplaires. Des conférences étaient organisées.

Für das Themenportal verfasst von

Marcel Spivak

( 2007 )
Zitation
Marcel Spivak, L'école patriotique d'après 1871, in: Themenportal Europäische Geschichte, 2007, <www.europa.clio-online.de/essay/id/fdae-1437>.
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