Les transferts de technologie américaine dans la sidérurgie française et allemande. Étude comparée pour l'Entre-deux-guerres
Françoise Berger
Dans l'Entre-deux-guerres, la sidérurgie américaine possède une avance technologique certaine sur son homologue européenne. Les sidérurgistes français et allemands, qui sont eux-mêmes en contact professionnel parfois étroit (direct, ou lors de conférences internationales), s'intéressent à cette technologie : des voyages d'études sont organisés, des machines sont importées. Dans la concurrence qui se joue entre les deux principales sidérurgies européennes, c'est la sidérurgie allemande qui, grâce à sa puissance financière et à son esprit d'anticipation, franchit le pas la première pour l'équipement en train à bandes à coulée continue de technologie américaine, dans les années 1930. Ceci lui permet de prendre une avance remarquable dans le domaine de l'acier plat. Au-delà de la description de ces contacts et du jeu des transferts technologiques, qui ne sont pas à sens unique, un des problèmes évoqués est celui de savoir pourquoi la France ne put ou ne voulut pas prendre cette décision à cette époque.
In der Zwischenkriegszeit verfügt die amerikanische Stahlindustrie über einen gewissen technologischen Fortschritt gegenüber der europäischen. Die deutschen und französischen Stahlerzeuger, die untereinander teilweise in enger beruflicher Verbindung stehen (direkt oder anlässlich internationaler Konferenzen), sind an dieser Technologie interessiert: Studienreisen werden organisiert, Maschinen importiert. Im Konkurrenzkampf zwischen den beiden Hauptstahlerzeugerländern in Europa ist es die deutsche Stahlindustrie, welche durch ihre Finanzkraft und ihre Voraussicht in den 1930er Jahren als erste den Schritt zur Ausstattung mit Förderbandstraßen amerikanischer Technologie wagt. Dies ermöglicht ihr einen bedeutenden Vorsprung. Über die Beschreibung dieser Kontakte und der keineswegs nur in eine Richtung verlaufenden Technologietransfers hinaus, wird das Problem behandelt, warum Frankreich damals diese Entscheidung nicht treffen konnte oder wollte.
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Nous présentons ici les premiers éléments d’une recherche nouvelle menée spécialement pour le colloque « Allemagne – France – Amérique du Nord – Transferts – Images – Relations » et qui s’avère d’une assez grande ampleur si l’on veut en étudier tous les aspects possibles. Cette recherche s’est, pour le moment, appuyée sur les archives de trois entreprises : de Wendel et Schneider, pour la France et Mannesmann, pour l’Allemagne, sur la base de données de l’Office européen des brevets et bien sûr sur les écrits – assez rares – que l’on peut trouver autour de ce thème. Il faut faire ici une mise en garde : comme ils ne sont basés que sur quelques exemples, bien que relevant des plus grandes entreprises du secteur, on peut difficilement en tirer des éléments totalement généralisables pour le secteur, et certainement pas non plus pour l’ensemble de l’industrie. En effet, la sidérurgie n’est pas un secteur comme les autres, elle a donc ses propres règles et rythmes de fonctionnement, même si elle n’échappe pas totalement aux rythmes généraux de l’économie. Cependant, il nous a semblé que certaines conclusions pouvaient malgré tout être tirées, avec les précautions d’usage.
Pourquoi avoir choisi la période de l’Entre-deux-guerres ? Trois raisons justifient ce choix. Tout d’abord, parce que, pour le moment, on s’est surtout intéressé à l’américanisation de la société européenne après la Seconde Guerre mondiale. Si dans l’espace social on peut considérer que la véritable société de consommation se met en place dans les années cinquante[1], dans l’espace industriel les évolutions sont antérieures à la Seconde Guerre mondiale. On peut même dire que l’influence américaine remonte au travail en commun mené pendant la Première Guerre mondiale.[2] Cette « américanisation » s’est développée dans l’enthousiasme de l’après-guerre, malgré les aigreurs causées par le retrait diplomatique américain. Une forte volonté de travail en commun entre Européens et Américains se dessine alors.
On peut ainsi citer le voyage d’Eugène Schneider en 1919, pour le congrès d’Atlantic-City au cours duquel est créée la Chambre de commerce internationale (CCI).[3] N'ayant pas abouti au maintien d’une coopération économique au niveau des Etats en 1919, on reporte les espoirs sur l'organisation de la CCI, par laquelle on espère développer une intense collaboration économique.[4] On espère ainsi sauver la coopération interalliée qui semble compromise par l’isolationnisme américain et convaincre les dirigeants américains de la nécessité d’une aide financière pour l’Europe, dans l’intérêt des deux camps. Des réunions préparatoires avaient eu lieu au ministère du Commerce[5], mais il y fut précisé que la mission française n’aurait qualité pour négocier aucune espèce d’opération particulière. On reste donc totalement dans la sphère privée.
Des projets variés se mettent ainsi en place et les années vingt semblent prometteuses de ce point de vue. La seconde raison qui explique le choix de la période est liée à l’évolution de la technologie. Dans la sidérurgie, l’Entre-deux-guerres est une période de véritable « révolution industrielle », avec l’électrification des laminoirs et le développement de la technique des trains à bandes continus, à chaud ou à froid. Ces nouveaux procédés vont à leur tour révolutionner les industries de transformation, entre autres dans le secteur de l’automobile. Enfin, ces révolutions technologiques vont de pair – l’une entraînant ou impliquant l’autre – avec des bouleversements dans l’organisation des sociétés et leur gestion : regroupements et fusions, entre autres à cause de l’énorme coût des nouvelles installations. Même si les grands groupes français et allemands sont encore marqués par la propriété familiale, des évolutions se dessinent en Europe (cartels, acquisitions, concentration) et s’accélèrent aux États-Unis : méthodes de gestion plus rationnelles ; contrôle industriel, commercial et de gestion. C’est donc le troisième élément qui nous a incité à nous concentrer sur cette période.
D’une manière générale, pour l'économie, on peut se demander quel est le sens d'une « américanisation » dans l’Europe de l’Entre-deux-guerres.[6] Cette expression est souvent liée à des visions négatives de ce phénomène qu’il convient donc de cerner. Les industriels voient bien sûr dans l’émergence de la société de consommation une perspective très motivante pour leur propre développement, à laquelle ils doivent se préparer. Mais dès le début des années vingt sont dénoncés les aspects considérés comme dégradants pour la personne humaine que l’on trouve dans les applications des principes du taylorisme dans les usines. De plus, les Européens – y compris les élites politiques et industrielles – ont été extrêmement déçus par le refus américain de participer à la Société des nations. Ils se sont sentis trahis. Autant dire que dans la société européenne de l’Entre-deux-guerres, le modèle américain n’est guère plus apprécié que de nos jours.
En Allemagne après la Première Guerre mondiale, le débat sur le taylorisme et le fordisme a conduit à une seconde « découverte de l’Amérique », qui alla jusqu’à des affrontements, dans les milieux politiques, entre les « américanistes » et les « anti-américanistes ».[7] Les premiers mettaient en avant les succès de la rationalisation des entreprises américaines, en particulier leur très haute efficacité, une meilleure organisation du travail et de la gestion de l’économie. Les opposants de cette américanisation refusaient ce type de développement qui conduisait selon eux, à la collectivisation, à la mécanisation de l’homme.[8] Pourtant, cette société européenne n’a pas échappé, nolens volens, au transfert progressif des modes de vie et des technologies. C’est sur cette évolution inéluctable, telle qu’on la représente de manière habituelle, que nous avons posé quelques questions, en partant de certains a priori communs.
Le premier a priori est celui de la conception encore dominante d’une industrialisation qui, dès le début du XXe siècle et plus particulièrement après la Première Guerre mondiale, est désormais maîtrisée par une Amérique technologiquement dominante et avancée, qui apporte son modèle et son savoir-faire à une Europe industriellement dépassée. Est-ce une réalité dans le secteur de l’acier ?
Le second questionnement partait de la constatation statistique que la sidérurgie allemande produit au milieu des années vingt le double de sa concurrente française et qu’elle semble très en avance, tant dans la technologie que dans les méthodes de gestion industrielle. Peut-on mesurer cette avance et en comprendre les origines ?
Par ailleurs, puisque l’Amérique est le phare de l’industrie mondiale, dans l’Entre-deux-guerres, la sidérurgie américaine possède donc une avance technologique certaine sur son homologue européenne. Et de fait, les sidérurgistes français et allemands s'intéressent à cette technologie : des voyages d'études sont organisées, des machines importées. On est donc ici en présence de transferts de technologie : comment s’opèrent-ils ?
Enfin, le dernier questionnement porte sur la comparaison entre les deux principales sidérurgies européennes : quelles relations entretiennent-elles avec le modèle industriel américain et avec la technologie de ce pays ? Est-ce dans ce lien que l’on doit chercher l’explication de l’avance technologique allemande par rapport à sa concurrence française ?
En travaillant sur ces questions, on est conduit à croiser un certain nombre de thèmes, plus ou moins classiques, qui émergent des documents consultés. Dans une recherche limitée comme celle qui est présentée ici, ils n’ont bien sûr pas été traités en tant que tels, mais leur prise en compte dans la réflexion générale sur le sujet proposé a permis de mesurer la complexité des enjeux technologiques : les conceptions économiques des élites de l’Entre-deux-guerres ; le mouvement technicien dans la France de l’Entre-deux-guerres et la rationalisation dans l’industrie française à cette époque ; le fonctionnement du processus d’innovation ; le problème des brevets industriels ; les bouleversements technologiques des années trente dans l’industrie ; la compétition et la collaboration des sidérurgies françaises et allemandes. Après avoir procédé à une description des faits observés dans le secteur français et allemand de la sidérurgie, dans leurs liens avec l’industrie américaine, nous proposerons quelques éléments d’interprétation et de réponse.
Ce que l’on constate
Des visites de patrons et ingénieurs allemands et français aux Etats-Unis
Pour les Français, les visites du premier après-guerre ne sont que le prolongement de celles qu’ils ont faites pendant la guerre, par exemple la grande mission de la société Schneider, en 1915.[9] Ensuite, dès le milieu des années vingt, ingénieurs allemands et français font de nombreux voyages d’étude aux États-Unis. Par exemple, en 1925, Bulle (Phoenix) ; en 1926, Koppenberg (Flick), Paul Reusch (Gutehoffnungshütte) ; et chez Thyssen, trois voyages dans la même année, dont un avec un objectif précis : le fer-blanc ; en 1927 : Lilge (Gutehoffnungshütte).[10] Il y a plusieurs motivations à ces voyages. La première raison est en général de voir en fonctionnement des machines sur lesquelles ils ont déjà une visée, en discuter avec les utilisateurs. C’est le cas par exemple de la mission Schneider en 1927.[11] Les délégués de cette société vont visiter 66 usines sidérurgiques dont celles de Gary et de Bethleem, les plus grosses usines d’acier des États-Unis. Mais ils rencontrent aussi des constructeurs de laminoirs : par exemple, ils sont déjà en contact avec la firme américaine Bliss & Co, de Salem, qui leur a adressé une proposition pour la fourniture éventuelle d’un laminoir à 4 ou 6 cylindres, un nouveau procédé pour le laminage à froid. La mission va donc examiner de visu les propositions et en discuter. Une seconde raison, un peu moins avouée, c’est la possibilité de glaner des « astuces » peu coûteuses, telles que des modifications légères des installations ou des méthodes faciles à appliquer, en général pour améliorer le prix de revient.
Ces deux motivations sont les mêmes quand les sidérurgistes français visitent leurs collègues allemands chez qui, au demeurant, l’accueil est toujours excellent, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis. Au moins pour la mission Schneider de 1927, on note à plusieurs reprises un accueil froid, et même plus[12] ; cependant, la mission Carnaud de 1937 ne note rien en ce sens : peut-être est-ce en raison des difficultés rencontrées dans les affaires en 1927, où l’on constate jusqu’à – 50 % de production, ce qui serait une raison de cet accueil parfois glacial. Les visiteurs français de la société Schneider s’intéressent beaucoup aux techniques de laminage pour la production de tôles diverses, en particulier pour l’automobile. Des comptes rendus très détaillés, puis des études complémentaires sont mis à la disposition de la direction. De cette visite sont tirées des conclusions au sujet des transferts possibles de technologie pour l’usine du Creusot. Et les améliorations les plus simples et les moins coûteuses à mettre en oeuvre sont immédiatement mises à l’étude ou même en application quand c’est possible.
« Sans attendre la rédaction des notes complètes, diverses améliorations ont été apportées ou sont à l’étude, en vue d’une réalisation rapide dans les fabrications de l’usine du Creusot, notamment : substitution de l’acier mousseux à l’acier calmé pour la fabrication des tôles glacées (se traduira par une économie importante dans le prix de revient) ; modifications dans les opérations de décapage des tôles glacées (améliorera l’aspect de ces tôles) ; généralisation de la prise à chaud des lingots d’aciers de qualité ; mesures à prendre pour limiter la formation d’oxyde dans le laminage des largets destinés à la tôle glacée ; décapage systématique des blooms avant burinage ; simplification et amélioration des opérations de parachèvement des tôles minces ; etc. »[13]
La dernière raison de ces voyages tient à la nécessité d’être informé sur l’évolution de la production et donc de voir les nouveautés, l’avant-garde de la technologie, dont ils sont informés par les revues professionnelles : voir les machines nouvelles en fonctionnement, en suivre l’évolution et évaluer le moment où ces technologies innovantes sont vraiment au point. On peut ensuite réfléchir au transfert possible dans l’entreprise et, d’une manière plus générale, en France et en Allemagne. Dans les années vingt, c’est le problème de l’électrification des laminoirs qui domine. Dès 1919, on souhaite, chez Schneider, améliorer la production des laminés et divers projets de modernisation ont déjà été examinés.[14] La mission de M. Jardy aux États-Unis, en 1920, est lancée dans ce sens et il visite six centrales de production d’électricité sur place.[15] Les conclusions de ce voyage mettent en avant les différences importantes de structure et de potentiel entre les marchés américains et européens. On n’envisage donc qu’une implantation très limitée du type de centrale électrique utilisé par les Américains.
« En résumé pour les Américains, l’important est une bonne marche industrielle des divers appareils qui soit capable de maintenir les conditions d’opérations commerciales économiques qui ont présidé à leur installation et la réduction au minimum de la main d’œuvre. Les appareils très puissants et de très grandes dimensions qui sont moins coûteux pour une même puissance fournie et qui nécessitent proportionnellement moins de main d’œuvre deviennent de jour en jour de plus en plus en faveur. L’abondance et le bas prix de la matières premières aux États-Unis ainsi que les débouchés immenses qu’offrent aux producteurs de courant les applications de l’électricité dans un pays où elles ont été portées au maximum, font que à part quelques centres très peuplés ou quelques régions situées à proximité des houillères, nous ne pouvons, dans nos pays, prévoir beaucoup d’installations comparables comme amplitude aux grandes centrales américaines. »[16]
L’année suivante, la décision d’électrifier les laminoirs de l’usine du Creusot semble prise, des programmes concrets sont en cours d’étude.[17] On trouve aussi quelque intérêt dans d’autres techniques sidérurgiques. Chez Haniel (Gutehoffnungshütte), dès 1923, un cadre (Wehrheim) fait un rapport sur l’utilité des dispositifs de construction et fonctionnement issus de l’industrie sidérurgique nord-américaine et applicables à l’usine de Oberhausen. Il en fait aussi un, la même année, sur les hauts-fourneaux américains.[18] Chez Mannesmann, un rapport de Lent, datant de 1926, concerne aussi les techniques des hauts-fourneaux américains.[19] A la fin des années vingt et au cours des années trente, on s’intéresse, entre autres, aux très grands progrès réalisés pour la fabrication de tôles, pour automobiles, mais aussi dans le domaine des boîtes de conserves et de tous les produits plats tels que les tôles fortes, les tôles minces laminées à chaud et à froid, le fer-blanc, etc. Le rapport de mission aux États-Unis d’Albert François-Poncet (pour la société Carnaud), en 1937, très détaillé, est à cet égard tout-à-fait révélateur de la prise de conscience française de l’urgente nécessité de s’adapter aux nouveaux marchés de la tôle, conséquence de la demande des industries de transformation.[20]
C’est enfin, au cours de l’Entre-deux-guerres, le développement des procédés chimiques qui vont considérablement améliorer la qualité de l’acier produit, mais qui offre aussi des perspectives intéressantes en terme de temps de production, et donc de coût et de quantité produite. Un certain nombre de rapports de mission y sont, en partie ou en totalité, consacrés. Que regardent nos visiteurs sur place ? Ils regardent donc les machines objets de leur visite, mais aussi les installations et leurs aménagements. Par exemple, la propreté de certaines usines américaines impressionne beaucoup, comme chez Ford, une société modèle en la matière.[21] Ils s’intéressent aussi beaucoup aux problèmes de sécurité, comme le relate Heinrich Koppenberg dans son rapport de voyage aux États-Unis (1926).[22] Albert François-Poncet fait les mêmes réflexions lors de sa visite en 1937.[23]
« Enfin, le souci de la sécurité apparaît partout. ‘Security first’ est la devise mise avec le plus d’insistance sous les yeux du personnel, mais les maximes et les affiches répondent à une réalité. On semble avoir réussi à ramener les accidents du travail à un niveau remarquable. Dans toutes les usines visitées, nous avons lu des tableaux statistiques qui sont uniformément affichés dans les passages obligés du personnel. Tous les jours de l’année ont une case, on y colle une étoile les jours exempts d’accident ; les jours sans étoiles sont très rares. Les parties dangereuses sont protégées, souvent les protecteurs sont peint d’une couleur spéciale, le danger annoncé par une inscription. On sent que le personnel est associé à la lutte pour la sécurité et qu’une sorte d’émulation sportive est encouragée pour battre le record. »
D’autres aspects retiennent aussi leur attention, tels que les salaires : leur hausse continuelle ne leur dit rien qui vaille, ils craignent un excès mauvais pour l’économie.[24] Ils constatent avec intérêt le rôle de la publicité[25] et ils observent avec intérêt les innovations dans les méthodes de gestion, découvrant les débuts des méthodes scientifiques de « management ».
« Il n’est par contre, peut-être pas inutile de signaler une méthode générale qui m’a frappé à la Continental. La répartition des responsabilités dans la conduite des affaires courantes diffère sensiblement de nos conceptions. Un puissant État-major central règle la marche de toutes les affaires de la société. (…) Les directeurs d’usines n’ont qu’à appliquer les instructions ; ils sont plus encadrés que les nôtres et plus spécialisés. Au point de vue commercial, il en est de même : la tête à New-York, des organes centralisateurs à Chicago, San Francisco, et qui agissent pour un groupe d’usines. Chacune de ces usines reçoit du centre commercial les commandes décomposées en ordre de fabrication à exemplaires multiples qui iront dans chaque service intéressé. (…) de sorte que le chef d’usine n’a que le souci de faire tourner normalement un matériel qu’on lui a fourni pour exécuter un programme de travail dont on lui donne au jour le jour les éléments. (…) Dans l’ordre technique, tout se trouve répertorié, les méthodes sont décrites, les plans, les photographies viennent en abondance illustrer les consignes. En somme, tout en laissant à l’individu une assez grande liberté matérielle, toute la marche des services est réglée par une méthode qui a prévu dans les détails l’exécution du programme. Tout est conçu pour prévenir autant que possible les défaillances individuelles au moyen d’un cadre de travail où chacun se sent guidé et contrôlé. »[26]
Ils relèvent enfin un esprit de collaboration étroite entre producteurs et consommateurs, avec un dialogue permanent permettant une mise au point en commun des meilleurs aciers adaptés à chaque usage, ce qui ne semble pas être vraiment le cas en France.[27] Les rapports de voyage montrent tous un extrême intérêt à ces visites et à toutes les réflexions qu’elles suscitent dans tous les domaines déjà cités. Ils montrent donc que les transferts de technologie sont à envisager sous un angle bien plus large que les seules évolutions des machines et des procédés de production. Il faut cependant relativiser la spécificité américaine de ces visites. Les sidérurgistes ont l’habitude de visiter les homologues, à la fois concurrents et partenaires. Quand ils vont en Allemagne, les sidérurgistes français observent les mêmes choses : méthodes de travail, prix de revient, salaires, organisation de l’usine, etc., en plus des détails purement techniques.[28]
L’information circule aussi par d’autres voies
Lors des grandes rencontres internationales, souvent annuelles, les sidérurgistes ont l’occasion de faire circuler les informations sur les nouveaux procédés, mais plus encore de questionner leurs pairs sur la mise en œuvre de nouvelles machines, avec ses difficultés et ses réussites. Ainsi, l’Iron and Steel Institute de Grande-Bretagne organise des congrès annuels qui réunissent toute la profession sidérurgique.[29] D’autres associations concernent des secteurs plus réduits. On trouve ainsi le Congrès des matériaux de construction qui a lieu tous les deux ans. Les communications en sont éditées avec de très abondantes annexes techniques et les ingénieurs signalent aux dirigeants les notices à étudier plus particulièrement.[30] Le Congrès international de fonderie, qui existe toujours, se réunit à Bruxelles en 1935, à Paris en 1932 et en 1939.[31]Le Congrès de chimie industrielle, qui a lui aussi survécu, se tient chaque année dans différentes capitales européennes francophones.[32]
D’autres congrès ont une périodicité moins rapprochée, tel que le Congrès international des mines, de la métallurgie et de la géologie appliquée, qui était un rassemblement international particulièrement important dans ce milieu. Son inauguration datait de 1905 (Congrès de Liège). Au cours des années trente, il se réunit deux fois. D’abord à Liège, en 1930, où il semble qu’il n’y ait pas beaucoup d’Allemands ni d’Américains ; essentiellement des Français, des Belges, des Anglais et des Italiens.[33] Sa septième session se tient en 1935 à Paris et la suivante était prévue à Rome en 1940. « Le congrès, dans son ensemble, groupait plus de 1 400 participants, appartenant à 45 nations. Dans la seule section de métallurgie, il y avait 400 participants dont 120 étrangers. (…) 120 communications ont été présentées».[34]
C’est là, en 1935, qu’est présenté le nouveau procédé Ugine-Perrin qui fera l’objet des convoitises allemandes pendant l’Occupation. Il permet un abaissement notable du coût de production.[35] On voit dans le compte rendu de ce Congrès établi par les représentants de la firme Schneider, combien il est difficile à la fois d’informer et de garder quand même un certain secret.
« Évolution des procédés modernes d’épuration de l’acier (M. Perrin, Ugine). Cette communication qui éveillait beaucoup l’intérêt a été faite devant une salle absolument comble. M. Perrin n’a donné aucun renseignement technique nouveau sur ses procédés, mais s’est borné à indiquer d’une manière générale et volontairement assez vague les résultats acquis à l’heure actuelle. » [36]
Par ailleurs, on peut constater que les ingénieurs des différents pays discutent « technique » sur les derniers procédés, les essais qu’ils en ont fait, ce qu’ils en concluent, etc. A propos du procédé Perrin, les représentants de Schneider échangent avec les ingénieurs de Krupp les informations qu’ils possèdent sur les premières coulées réalisées avec ce procédé. La firme allemande a fait quelques essais d’application du procédé Perrin, mais seulement sur de petites quantités. On s’informe aussi de son adaptation au procédé Thomas.[37] Ces congrès sont donc des lieux privilégiés du transfert de technologie qui n’est pas du tout à sens unique, les Européens gardant une place importante dans l’innovation.
Enfin, les revues professionnelles et les brochures d’information des fabricants sont d’excellentes sources de renseignement. On consulte beaucoup les revues américaines et britanniques (Iron Age ; Iron and Coal trade review), mais aussi Stahl und Eisen qui publie très fréquemment des enquêtes sur l’outillage américain, revue à laquelle les sidérurgistes français sont en général abonnés. Quand une entreprise souhaite investir dans une nouvelle machine ou mettre en œuvre une nouvelle technique de production, de manière logique, elle rassemble des dossiers documentaires très précis qui comprennent, outre des devis, des notices techniques des vendeurs et les rapports éventuels de visites, une documentation extraite d’une recherche exhaustive dans les revues professionnelles. Ce type de dossier permet de voir comment les sidérurgistes travaillent, comment ils prennent leurs décisions d’investissement.[38] Par exemple, il semble que tout de suite après la guerre, on chercha, chez Schneider, à améliorer les installations, probablement celles du Creusot, et l’on s’informa donc des systèmes utilisés dans les grandes usines concurrentes : clairement, on regarde en France, en Allemagne et aux États-Unis (et rien sur la Grande-Bretagne, par exemple).[39] C’est donc bien le triangle de référence, au moins au début de l’Entre-deux-guerres.
Il est à noter que les Américains se tiennent également informés de ce qui se passe dans les principales usines européennes. On trouve certains articles décrivant des installations européennes, allemandes essentiellement.[40] Cette recherche d’information se situe à la limite entre espionnage industriel et formation professionnelle : pour vendre les machines nouvelles, les constructeurs ont intérêt à ce que l’information circule, mais ceux qui les utilisent – et souvent les améliorent – ont intérêt à une certaine rétention d’information, ce qui explique que l’accueil n’est pas toujours excellent et que de nombreuses installations ne peuvent être visitées. Il faut dire qu’à regarder les carnets de notes des ingénieurs, on comprend qu’ils glanent en effet des informations intéressantes : ce n’est pas vraiment l’invention, la machine en soi que l’on observe, mais plutôt des petites astuces dans la mise en œuvre concrète, des petites idées faciles à transférer.
Abbildung 4: Exemple de croquis faits par des ingénieurs de Mannesmann[41]
Pour garder l’avance technologique, il n’y a que deux choix, dont aucun n’est pleinement satisfaisant : le secret ou le brevet, et c’est souvent de ce fait une décision difficile à prendre.
Les brevets [42]
Tenir secret une innovation importante est difficile et risqué. Qui dit innovation dit donc souvent dépôt de brevet. Nous avons recherché un ou deux exemples d’entreprises sidérurgiques américaines, nous attendant à ce que les brevets déposés en Allemagne et en France soient assez nombreux, supposant que les transferts de technologie s’opéraient de cette manière-là. Or la réalité n’est pas du tout aussi simple. Les brevets américains sont assez peu déposés en Europe, voire pas du tout.
Par exemple, US Steel – la plus grande entreprise du secteur – n’a déposé aucun brevet en Allemagne ni en France, durant l’Entre-deux-guerres. Nous n’en avons pas l’explication. Peut-être une autre méthode de travail ? Peut-être privilégie-elle le secret ? Autre tentative chez Bethlehem Steel Co. Cette société dépose des brevets en Europe. Mais pour se rendre compte de l’importance de la part de ces brevets, pour cette société, il faut comparer avec l’ensemble de ceux qu’elle dépose aux États-Unis. Comme le montre le graphique ci-après, cette part reste très modeste.
Abbildung 5: Bethlehem Steel Co – brevets déposés dans l’Entre-deux-guerres[43]
On peut faire l’hypothèse qu’en Europe, dans le secteur de l’acier, on acquiert plus des machines que des brevets américains. Mais il y a là sans doute d’autres explications à trouver. Si donc les entreprises sidérurgiques américaines ne semblent guère s’intéresser au marché français et allemand, en terme de vente de brevets, qu’en est-il dans l’autre sens ? Et bien, pour les sidérurgistes français et allemands – au moins dans les exemples étudiés – c’est tout autre chose : ils sont tout à fait intéressés par les débouchés que peut offrir le marché américain à leurs inventions.
Les Vereinigte Stahlwerke ont déposé 93 brevets aux États-Unis pendant l’Entre-deux-guerres.[44] La périodisation est bien différente de la précédente. Alors que la firme américaine avait déposé beaucoup plus de brevets en Allemagne au cours des années vingt, c’est plutôt le contraire qui s’est produit pour la firme allemande, avec un « cœur » des années 1931-1936, montrant un étonnant apogée en 1933.
Abbildung 6: Vereinigte Stahlwerke – brevets déposés aux États-Unis dans l’Entre-deux-guerres[45]
Abbildung 7: Mannesmann – brevets déposés aux États-Unis dans l’Entre-deux-guerres [46]
La comparaison avec la société Mannesmann montre une allure générale du graphique assez semblable, toute proportion gardée et en tenant compte de fabrications qui sont de nature différente. On comprend aisément que ces brevets ne soient pas très nombreux dans les années qui suivent la défaite de l’Allemagne (mais l’exemple suivant contredit un peu cette affirmation). La suite est un peu plus surprenante, avec des dépôts beaucoup plus nombreux ici encore entre 1931 et 1935, en particulier en 1933. Les responsables des archives de l’entreprise n’ont pu fournir d’explications à ce phénomène, mais on peut difficilement croire à un hasard technologique… La question reste donc posée.
Dans le cas de la firme Krupp, nous possédons des informations complètes sur ses dépôts de brevets dans les trois pays. Et cette firme a semble-t-il pour habitude de déposer le même brevet dans quatre pays en parallèle : France, Allemagne, Grande-Bretagne, et États-Unis.[47] Pour l’Allemagne, c’est de très loin la première firme sidérurgique à déposer des brevets, alors qu’elle vient loin en second, derrière les Vereinigte Stahlwerke. Ceci s’explique aisément par les spécialités de production de Krupp, acier spécial, matériel ferroviaire et armement, alors que les Vereinigte Stahlwerke produisent beaucoup plus d’acier standard. On constate que le marché français est mieux couvert, soit parce qu’il est plus rentable, soit parce qu’il est plus facile d’accès de part la longue tradition commerciale dans ce secteur.
Abbildung 8: Krupp – brevets déposés aux États-Unis, en France et en Allemagne dans l’Entre-deux-guerres[48]
Il semble, au vu des quelques exemples présentés ici, que ce sont plutôt les entreprises porteuses de technologie novatrice dans un certain créneau du marché qui font cette démarche. C’est le cas pour Krupp, on peut aussi prendre l’exemple de Schneider, toujours pour le même secteur. A cet égard, la société Schneider est la première entreprise sidérurgique en France pour le dépôt de brevets aux États-Unis (alors qu’elle n’est pas la première sur le marché français). Le plus grand nombre de brevets déposés (64) correspond à l’année 1920. On constate d’ailleurs que les trois années qui suivent la guerre semblent avoir donné lieu à une sorte de rattrapage, peut-être des inventions mises au point et utilisées pendant la guerre, que l’on officialise ensuite.
Abbildung 9: Schneider – brevets déposés aux États-Unis et en Allemagne dans l’Entre-deux-guerres[49]
A travers la liste des brevets, même avec leur descriptif, il est très difficile de savoir de quel type d’invention il s’agit ; mais à partir des archives techniques d’une entreprise, on peut voir un élément intéressant se dessiner : une partie des brevets vendus aux États-Unis viennent de systèmes issus des États-Unis, modifiés, améliorés et re-breveté pour leur innovation. Jeffrey Fear explique très bien, dans sa thèse[50], comment il y a ainsi des allers-retours de technologie. Il a étudié l’exemple des Vereinigte Stahlwerke : des machines achetés aux États-Unis sont améliorées sur place et les nouveaux systèmes sont ensuite brevetés et revendus aux États-Unis. L’exemple le plus intéressant est celui du procédé Fretz-Moon, qui permet de produire des tubes soudés ordinaires à un coût bien plus bas, à partir de feuillards d’acier.[51] Cette invention américaine a été très nettement améliorée par la firme Mannesmann au début des années 1930 et le procédé est encore en usage aujourd’hui.
D’autres entreprises, au contraire, semblent ne pas s’intéresser du tout au marché américain : c’est le cas du groupe de Wendel qui n’a déposé qu’un seul brevet aux États-Unis[52] et quatre en Allemagne.[53] Mais l’entreprise-mère ne dépose qu’un seul brevet en France[54], ceci correspond donc à une attitude globale. Ce qui ne l’empêche cependant pas de scruter la technologie américaine.[55] En fait beaucoup de machines utilisées dans la sidérurgie française et allemande sont d’origine européenne, allemandes en particulier, mais aussi britanniques et françaises. Et les échanges avec les sidérurgistes allemands sont très importants[56] pour l’Entre-deux-guerres : visites, travail en commun dans les organisations du cartel européen de l’acier (EIA), achat de matériel et dépôt de brevets, etc.[57]
Le cas spécifique des trains à bandes continus
Les trains à bandes continus sont la grande innovation américaine de l’Entre-deux-guerres. L’idée de laminer à chaud en continu est très ancienne, mais la généralisation industrielle de ce procédé s’est longtemps heurtée à des problèmes techniques. La maîtrise des moteurs à courant continu de grande puissance et la régulation de leur vitesse ont constitué les bases du développement des trains à bandes. Celui-ci a eu une influence très importante sur la production et l’utilisation de l’acier dans le monde. Cette nouvelle technologie apporte à la fois un plus faible coût de production (c’est évidemment toujours l’élément déterminant), – ceci à la condition d’une grosse quantité produite – mais surtout, c’est une véritable révolution dans la qualité de l’acier produit.
Dès 1926-1927, Allemands et Français s’intéressent à ce tout nouveau procédé qui commence à peine à se développer aux États-Unis et ils en discutent avec leurs interlocuteurs américains. Heinrich Koppenberg présente cette technologie dans son rapport de visite, en particulier à propos de l’usine de Gary (Illinois Steel Co).[58] De même, la mission Schneider (1927)a visité l’usine de l’Alleghany Steel Co où le procédé à froid est en œuvre[59], mais d’autres entreprises américaines sont encore dans l’expectative (par exemple Newton Steel Co). Les conclusions de ce rapport de 1927 sont particulièrement intéressantes, car elles montrent que l’on a déjà pris en compte cette nouvelle technologie dans la réflexion sur le développement des usines Schneider, et que l’on en voit bien les avantages. Mais, malgré la prospérité, on pense que ce n’est pas encore adapté en Europe. Cependant, il faut relever que l’on envisage déjà la possibilité d’un groupement européen qui pourrait se lancer dans l’aventure, dans les années à venir. On a donc bien compris que c’était la direction à venir pour l’acier plat. C’est le puissant Konzern des Vereinigte Stahlwerke qui prend l’initiative pour l’Europe continentale. Il décide, le 17 juillet 1935, la création d’une société spéciale (Bandeisenwalzwerke AG) pour la construction et l’utilisation du premier train à coulée continue, qui sera mis en place près de la August Thyssen Werke, à Dinslaken. Les discussions avaient commencé dès 1934, en particulier pour en négocier, entre les usines du Konzern, l’emplacement qui est finalement choisi sur la base du moindre coût de transport pour les matériaux et l’exportation.
En 1937, alors que les Allemands sont donc en train de mettre en fonctionnement leur premier train à bandes larges, les Français sont bien conscients des enjeux, mais aussi des difficultés. Les buts de la mission des établissements Carnaud, la même année, sont exclusivement axés sur cette nouvelle technologie.[60] Les conclusions de ce rapport montrent que désormais le pas à été franchi, du moins par certains, ici par le rapporteur de la mission. Il faut désormais vite s’organiser, en France, pour mettre en œuvre un grand train à bandes à coulée continue. Mais avec clairvoyance, on prévoit déjà les difficultés d’entente dans une situation tendue en France entre les principaux groupes sidérurgiques.
Ce que l’on peut conclure
Même si, dans l’Entre-deux-guerres, l’avance technologique américaine est certaine dans les domaines de pointe de la sidérurgie, les transferts de technologie y sont complexes et ils sont loin d’être unilatéraux.
Des conceptions à moduler ou à réviser partiellement
Sur l’américanisation et les transferts technologiques venus des États-Unis dans la sidérurgie européenne
Les Européens ont encore largement la maîtrise technologique dans de nombreux domaines de la production sidérurgique. Pour certaines techniques de pointe, les Américains ont des exclusivités, signe d’une avance technologique, mais les transferts ne s’opèrent pas à sens unique. On peut donc avancer que le terme d’ « américanisation » de l’industrie sidérurgique européenne n’est pas le plus approprié pour rendre compte de la réalité des transferts de technologie. Cependant, le modèle américain est très attractif pour les sidérurgistes allemands et français de l’Entre-deux-guerres. Et il l’est sans doute autant dans les autres aspects de la production que dans celui de la technologie pure. Les méthodes de gestion, le contrôle de la sécurité ou de l’hygiène sont des éléments pris en grande considération du côté européen.
Sur l’avance allemande par rapport à la France
Ici aussi, une modulation est nécessaire. Certes, les entreprises sidérurgiques allemandes sont certainement plus au fait que leurs homologues françaises du détail des développements technologiques aux États-Unis : on peut en prendre pour preuve la teneur des articles qui paraissent en Allemagne, auxquels les Français eux-mêmes se référent. Il y a, dans la presse spécialisée allemande, des reportages, des traductions systématiques d’articles des revues américaines. On a constaté aussi, dans le cas de Mannesmann, qu’il y avait un réel phénomène de « transfert-retransfert ». Mais certaines firmes françaises ont des atouts majeurs et déposent beaucoup de brevets, y compris aux États-Unis (Schneider). Alors pourquoi les Français ne se sont-ils pas décidés, à la fin des années trente, à construire eux aussi un train continu à large bande pour rester compétitif dans le domaine des tôles et autres produits plats, dont on sait bien, dès cette époque, qu’il est l’avenir du secteur ? La raison n’en est pas technologique. Ce n’est pas non plus purement une raison financière, car les choses auraient été possible dans ce domaine, avec un regroupement d’entreprises (ce fut d’ailleurs le cas après la guerre). Il faut ici chercher dans l’organisation nationale de la sidérurgie française et dans ses affrontements internes.
Il faut aussi relativiser l’écart de temps entre la mise en route allemande (1937) et la mise en route française (1948) : la période de guerre fausse largement les données en ce domaine. En réalité, les principaux dirigeants français avaient déjà fait le choix de cette technologie (François de Wendel en particulier), mais il fallut la réorganisation obligée de l’après-guerre, avec le plan Marshall et la pression des pouvoirs publics, pour que l’industrie sidérurgique française franchisse enfin le pas. Ce retard à la décision fut sans doute une des raisons pour laquelle, malgré une situation très favorable à la Libération, la sidérurgie française ne put se démarquer durablement d’un concurrent allemand qui revint en force dans ce domaine, malgré le démontage de son unité moderne de Dinslaken, expédiée en URSS au titre des réparations de guerre.
[1] Bien que les choses aient déjà largement évolué, en particulier autour des salaires et du temps de travail, dans les années trente.
[2] Par exemple, les voyages de 1915-1916 et les dépôts de brevets.
[3] Depuis ce congrès fondateur de la CCI (4 000 participants), les congrès ont lieu tous les deux ans dans différentes villes du monde.
[4] Archives de l’Académie François Bourdon (Schneider), ci-après AFB /187 AQ 588-02/ Rapport de M. Eugène Schneider, président de la mission française. Ce voyage des missions économiques des pays alliés (délégations anglaises, belges, italiennes et françaises) aux États-Unis, est organisé par la Fédération des chambres de commerce des États-Unis. Le voyage est offert par le gouvernement américain.
[5] Le ministre Clémentel est le président d’honneur de la Mission.
[6] Voir Barjot, D., Introduction générale, dans Barjot, D. ; Réveillard, C., L’américanisation de l’Europe occidentale au XXe siècle. Mythe et réalité, Paris, PU-Sorbonne, 2002, p. 7-33.
[7] Voir coll., Zukunft aus Amerika. Fordismus in der Zwischenkriegszeit, Berlin, 1995.
[8] Kleinschmidt, C., Rationalisierung als Unternehmensstrategie. Die Eisen- und Stahlindustrie des Ruhrgebiets zwischen Jahrhundertwende und Weltwirtschaftskrise, Essen, Klartext V, 1993, p. 208 et suiv.
[9] AFB/01G0001-08.
[10] Kleinschmidt, Rationalisierung, p. 210.
[11] AFB/ 01G0080/ Rapports de missions du voyage aux États-Unis du 13 septembre au 7 novembre 1927.
[12] AFB/ 01G0080/ ibid.
[13] AFB/ 01G0080/ Note de Rouer, 30 novembre 1927.
[14] AFB/ 01G0581/ Lettre du 23 août 1919, note de l’usine du Creusot pour Coqueugnot.
[15] AFB/ 01F0380/ Mission de Jardy aux États-Unis (5 mars-5 juin 1920).
[16] AFB/ 01F0380/ Note signée Jardy, 10 octobre 1920, Le Creusot.
[17] AFB/01G0581 / Lettre de l’usine du Creusot, département de la métallurgie, 10 octobre 1921.
[18] Kleinschmidt, Rationalisierung, p. 208 et suiv.
[19] Kleinschmidt, ibid.
[20] Archives nationales, ci après AN/ 189 AQ 213/ Mission de A. François-Poncet (Carnaud) aux États-Unis, 1937.
[21] La chose est relatée dans AFB/ 01G0080/ Schneider, 1927 et AN/ 189 AQ 213/ de Wendel, 1937.
[22] Koppenberg, H., Eindrücke aus der Eisenindustrie der Vereinigten Staaten von Nordamerika, Berlin, Springer, 1926, p. 79 et suiv. Heinrich Koppenberg (1880-1960) fut le directeur général de Junkers (1934-1941). Il était auparavant directeur administratif du consortium Flick et président du conseil d’administration des Mitteldeutsche Stahlwerke.
[23] AN/ 189 AQ 213/ Mission de A. François-Poncet (Carnaud) aux États-Unis, 1937.
[24] AFB/ 01G0080/ Schneider, 1927.
[25] Même constatation en 1927 et 1937.
[26] AN/ 189 AQ 213 / Mission de A. François-Poncet (Carnaud) aux États-Unis, 1937.
[27] Même constatation en 1927 et 1937.
[28] Par exemple, en mai-juin 1930, une grande série de visites en Allemagne est organisée par la firme de Wendel (AN 189 AQ/ 128).
[29] AFB/01G0083-B-909.
[30] AFB/01G0015-A-08.
[31] AFB/ 01G0094-B-1802, AFB/ 01G0104-2495 et AFB/SS0574.
[32] Le congrès se tient à Paris en 1925, à Bruxelles en 1927, à Strasbourg en 1928, à Paris en 1929, à Liège en 1930, etc. AFB/01G0168-13; AFB/01G0078-B-700bis; AFB/01G0082-A-812; AFB/01G0087-A-1137 et AFB/01G0083-A-895 bis.
[33] Si l’on s’en tient à la liste des orateurs, mais tous les participants ne communiquaient pas.
[34] AFB/01G0095-A/1817-1818 / Congrès de métallurgie 20-26 octobre 1935, compte rendu des travaux. Le président d'honneur en était Henry Le Châtelier, un X-Mines membre de l’Académie des sciences, qui fit une grande carrière comme professeur à l’École des Mines et, entre autres, créa la Revue de Métallurgie.
[35] Il s’agit d’un procédé qui abaisse la durée et les coûts de production de l’acier car il limite la quantité de laitier employé à chaque opération, en permet une plus grande réutilisation et offre une désoxydation intense de l’acier en quelques instants.
[36] AFB/01G0095-A/1817-1818, op. cit., p. 5.
[37] AFB/01G0095-A/1817-1818, ibid.
[38] AFB/ 01G0664/ Documentation technique sur des fours Martin extraite des revues suivantes : Revue de métallurgie 1916 ; Génie civil (1920) ; La technique moderne (1920) ; Revue universelle des mines 1920 ; Stahl und Eisen plusieurs numéros (1913-1914) ; Zeitschrift des Vereins deutscher Ingenieure (14 novembre 1914) sur les nouvelles aciéries Martin ; Central Blatt der Hütten und Walzwerke (novembre 1912) ; Foundry (1914) ; Iron trade review (1920 et 1917) ; Iron age (1921 et 1917) ; Engineer (1915) ; Iron and coal trades review (1920). S’y ajoutent des études spécifiques : plusieurs études Schneider internes (entre 1912 et 1920) ; Grand plan de l’aciérie Martin de l’Usine de l’Union Werke à Dortmund ; note sur une démarche d’une société allemande (Mark, de Wenger/Ruhr, visite du 13 mars 1913) sur les ferroalliages et les aciers spéciaux divers ; rapport sur la Société Normande de Métallurgie (1917) ; rapport d’une mission en Russie en décembre 1916 ; un devis de Wellman Seaver & Head Ldt (London) pour l’installation d’une aciérie Martin (octobre 1915) ; une copie du descriptif du brevet américain Knox Pressed (avril 1915). On trouve ce type de dossiers dans d’autres cartons d’archives, par exemple : AFB/01G0189-03 / SD/03 et SD/04 et SD/ 05.
[39] AFB/01G0189-03/ SD/03 ; mêmes constatations dans d’autres dossiers.
[40] Par exemple dans AFB/01G0001-08 : un grand plan très détaillé extrait de The Iron age (27 février 1908) sur « General arrangement of rolling mills of the Krupp Work at Rheinhausen, Germany ».
[41] Mannesmann Archiv/ R. 4. 50. 02.
[42] De très rares ouvrages historiques existent dans ce domaine, en France : Beltran, Alain (sous la dir. de), Des Brevets et des Marques, une histoire de la propriété industrielle, Paris, 2001 ; une thèse de doctorat est en cours : Galvez-Behar, Gabriel, Histoire des brevets en France (1870-1922), Université de Lille 2. Il y a encore beaucoup à chercher dans ce domaine.
[43] Base de l’Office européen des brevets.
[44] Par contre, nous n’avons pas trouvé trace de brevets déposés en Allemagne, ni en France. Aucune explication n’a été découverte à ce sujet, on peut avancer plusieurs hypothèses comme celle de pratiques différentes selon les pays : habitude de breveter ou pas, inscription au nom de l’entreprise ou au nom de l’ingénieur inventeur, etc.
[45] Base de l’Office européen des brevets.
[46] Mannesman Archiv/ M. 60. 123 (1), (2) et (3).
[47] On constate en moyenne un ou deux ans de décalage entre le dépôt dans son propre pays et à l’étranger.
[48] Base de l’Office européen des brevets.
[49] AFB/SGPI Creusot-Loire/Brevets Etats-Unis et AFB/SGPI Creusot-Loire/Brevets Allemagne.
[50] Fear, Jeffrey, Organizing Control. August Thyssen & the Construction of German Corporate Management, Harvard University Press, 2005, 736 p.
[51] Mannesmann Archiv/ R. 4. 53. 50 et 51/ Fretz-Moon Verfahren.
[52] « Method of cooling coke » en 1923, par leur société minière en Allemagne (Zeche de Wendel).
[53] 1922, 1923, 1928, 1935 (tous portant sur la cokéfaction).
[54] En 1928, un nouveau procédé d'utilisation des poussières et des boues de hauts-fourneaux.
[55] Le voyage de A. François-Poncet, précédemment évoqué, se fait sur la demande expresse de François de Wendel (Carnaud appartient au groupe de Wendel).
[56] Les brevets sont également très nombreux en Grande-Bretagne, tant de la part des Français et des Allemands que des Américains.
[57] Voir Berger, Françoise, La France, l’Allemagne et l’acier (1932-1952), thèse de l’Université de Paris I, 2000, 1ère partie.
[58] Koppenberg, Eindrücke aus der Eisenindustrie, p. 42 et suiv., p. 56 et suiv.
[59] AFB/ 01G0080/ Rapports de missions, p. 25.
[60] AN/ 189 AQ 213/ Mission de A. François-Poncet (Carnaud) aux États-Unis, 1937.