La chambre de commerce franco-allemande Évolution et rôle d'une institution patronale des années 1950 aux années 1970

Ab 1955 stützten sich die bilateralen Wirtschaftsbeziehungen Deutschlands und Frankreichs auf eine besondere Einrichtung, die offizielle deutsch-französische Handelskammer. Sie war im Rahmen der im vorangegangenen Jahr von den jeweiligen Regierungschefs unterzeichneten Verträgen von La Celle Saint-Cloud auf Initiative der öffentlichen Hand gegründet worden und versammelte Anfang der 1960er Jahre ungefähr 2.000 Teilnehmer (Unternehmen, Einzelpersonen, Vereinigungen). Ausgehend von strikt paritären Strukturen, einer Zeitschrift und der Unterstützung der Industrie- und Handelskammer von Paris spielte sie eine nicht unbedeutende Rolle. Sie übernahm die Verteidigung privater Interessen gegenüber öffentlichen Stellen, die sie in technischen Fragen konsultierten, die Verbreitung von Informationen an Unternehmen, die sich im Nachbarland ansiedeln wollten sowie die Entwicklung von Sprach- und Wirtschaftsunterricht.

La Chambre de Commerce Franco-Allemande. Évolution et rôle d'une institution patronale des anées 1950 aux 1970

Jean-François Eck

Le développement des relations économiques bilatérales entre la France et l’Allemagne s’est appuyé à partir de 1955 sur une institution originale, la Chambre officielle de com­merce franco-allemande. Créée sur une initiative des pouvoirs publics, dans le cadre des accords de la Celle Saint-Cloud signés l’année précédente entre les chefs des gouverne­ments respectifs, elle a rassemblé au début des années 1960 2 000 participants environ (entreprises, particuliers, associations). De structures strictement paritaires, disposant d’une revue, soutenue par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, elle a joué un rôle non négligeable : défense des intérêts privés auprès des pouvoirs publics qui la consultent sur des aspects techniques, diffusion d’informations aux entreprises désireuses de s’établir dans le pays voisin, développement de l’enseignement linguistique et com­mercial. Appréciée des hommes d’affaires, elle leur a souvent procuré un utile cadre de rencontres. Peu à peu cependant, le déséquilibre numérique entre ses deux parties, le manque de ressources, les aigreurs et rivalités réciproques ont rendu son fonctionnement difficile. La Chambre finira par éclater en deux institutions, sises l’une à Paris, l’autre à Sarrebruck, perdant ainsi ce qui avait fait sa spécificité.

Ab 1955 stützten sich die bilateralen Wirtschaftsbeziehungen Deutschlands und Frank­reichs auf eine besondere Einrichtung, die offizielle deutsch-französische Handelskam­mer. Sie war im Rahmen der im vorangegangenen Jahr von den jeweiligen Regierungs­chefs unterzeichneten Verträgen von La Celle Saint-Cloud auf Initiative der öffentlichen Hand gegründet worden und versammelte Anfang der 1960er Jahre ungefähr 2.000 Teil­nehmer (Unternehmen, Einzelpersonen, Vereinigungen). Ausgehend von strikt paritären Strukturen, einer Zeitschrift und der Unterstützung der Industrie- und Handelskammer von Paris spielte sie eine nicht unbedeutende Rolle. Sie übernahm die Verteidigung pri­vater Interessen gegenüber öffentlichen Stellen, die sie in technischen Fragen konsultier­ten, die Verbreitung von Informationen an Unternehmen, die sich im Nachbarland ansie­deln wollten sowie die Entwicklung von Sprach- und Wirtschaftsunterricht. Sie wurde von Geschäftsleuten geschätzt und bot ihnen häufig einen geeigneten Rahmen für Zusammen­künfte. Nach und nach erschwerten allerdings das zahlenmäßige Ungleichgewicht der bei­den Seiten, der Mangel an Ressourcen sowie gegenseitige Ärgernisse und Rivalitäten ihre Arbeit. Die Kammer zerbrach in zwei Einrichtungen, die eine mit Sitz in Paris, die andere in Saarbrücken, und verlor damit ihre Besonderheit.

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Parmi les institutions qui, en France et en Allemagne, ont joué un rôle dans les relations de pouvoir qui, aux XIXe et XXe siècles, se sont établies entre milieux professionnels et administrations publiques, la Chambre officielle de commerce franco-allemande, fondée en 1955, a tenu une place non négligeable. Il s’agit ici d’en examiner certains aspects, tels qu’ils ressortent à travers ses publications, à travers aussi les archives de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) qui a été l’un des promoteurs de l’institution, complétés par certains témoi­gnages recueillis dans les archives d’entreprises et d’hommes d’affaires qui y ont participé.[1] Nous nous limiterons ici pour l’essentiel aux quinze premières années de fonctionnement de la Chambre lorsqu’au cœur des Trente Glorieuses, elle apparaît comme un acteur notable dans la coopération économique franco-allemande qui s’affirme et permet d’envisager une transformation durable des rapports entre les deux pays. Nous n’envisagerons guère les circonstances de la fondation de la Chambre. Elles sont déjà bien connues par d’autres travaux, notamment ceux de Werner Bührer, d’Andreas Wilkens et de Sylvie Lefèvre.[2] Nous les avons nous-même évoquées dans un autre ouvrage consacré aux relations des entreprises françaises avec l’Allemagne durant cette période auquel nous nous permettons de renvoyer.[3] Nous nous attacherons essentiellement au mode de fonctionnement, à la représentativité et au rôle joué par la Chambre, tant auprès de ses membres que des pouvoirs publics, pour conclure enfin sur les problèmes que, dès cette période, elle rencontre dans sa vie quotidienne.

Le mode de fonctionnement possède l’originalité d’être strictement paritaire. Lorsqu’en octobre 1954 la rencontre de La Celle Saint-Cloud entre Pierre Mendès France et Konrad Adenauer envisage, entre autres mesures destinées à relancer le dialogue franco-allemand mis à mal par l’échec du projet de CED, la création à Paris d’une Chambre de commerce franco-allemande, l’une des grandes revendica­tions allemandes est d’obtenir enfin, notamment en matière de droit d’établisse­ment en France des commerçants et industriels allemands, une complète égalité de trai­tement avec les dispositions dont jouissent outre-Rhin leurs homologues fran­çais. La Chambre officielle de commerce franco-allemande en sera le moyen. Elle a été précédée par d’autres tentatives. Pour se limiter aux années postérieures à 1945, on sait qu’existaient déjà, depuis 1949, deux associations regroupant cer­tains membres du patronat intéressés par les relations bilatérales, l’AFREA en France (Association française pour les relations économiques avec l’Allemagne), placée sous le double patronage de l’Assemblée permanente des présidents des chambres de commerce et du Conseil national du patronat français (CNPF), et la DEFRA en Allemagne (Deutsche Vereinigung zur Förderung der Wirtschaftsbe­ziehungen mit Frankreich), qui dépendait du Deutscher Industrie- und Handelstag. Chacune de ces associa­tions restait cependant limitée à ses propres nationaux, même si elles tenaient aussi des réunions communes, occasion d’adresser simulta­nément leurs voeux aux gou­vernements.

L’une des principales raisons de la création de l’institution est la volonté des pouvoirs publics français de mieux contrôler les milieux patronaux intéressés au développement des relations avee l’Allemagne. L’AFREA avait pourtant été créée sous leurs auspices. Mais elle échappe peu à peu à leur tutelle. Dès novembre 1951, une rencontre qui se tient à Düsseldorf entre la délégation française, prési­dée par le « patron des patrons » français Georges Villiers, et la délégation alle­mande conduite par Fritz Berg, son homologue au Bundesverband der deutschen Indus­trie, débouche sur la fondation d’un Comité mixte industriel franco-alle­mand. Cette initiative, prise en dehors de l’administration, au moment même où le Parlement français examine le projet de traité CECA, inquiète les responsables. Le conseiller commercial à l’ambasssade de France, Bernard Lefort la relate à André François-Poncet en ces termes : « S’estimant désormais suffisamment forts et préférant des rencontres entre producteurs, dont l’administration française ne peut connaître que ce dont ils l’informent, nos industriels ont créé avec leurs col­lègues allemands un comité mixte où ils peuvent débattre en toute quiétude des problèmes de produc­tion et de concurrence (prix, partage des marchés, etc.) qui les intéressent avant tout ».[4] La création de la Chambre officielle de commerce franco-allemande est donc pour eux le moyen de reprendre barre sur la nouvelle institution. C’est aussi le moyen d’éviter, grâce à la parité entre Français et Alle­mands et grâce, espère-t-on, à la fixation de son siège à Paris, le déséquilibre qui se creusait entre AFREA et DEFRA et qui était lié en grande partie au relatif effa­cement du président de l’asso­ciation française, Pierre Jaudon, conseiller aux Affai­res étrangères, ancien repré­sentant de la France auprès des tribunaux mixtes d’ar­bitrage, un juriste par consé­quent, alors que l’association allemande, elle, était présidée par un authentique homme d’affaires, Richard Merton, le patron du groupe de métallurgie non ferreuse Metallgesellschaft, qui faisait preuve d’une activité débordante.

La nouvelle Chambre, créée le 15 juin 1955, n’aura pas semblables défauts. Elle est, d’abord, directement l’expression de la volonté gouvernementale, comme le rappelle l’adjectif « officiel » qu’elle conservera pendant longtemps. Elle est ensuite strictement paritaire dans ses structures. Y adhèrent des entreprises, privées ou publiques, des particuliers, des institutions aussi comme d’autres chambres de commerce et des groupements patronaux. L’assemblée générale annuelle élit pour deux ans un conseil d’administration de trente membres, composé à parts égales de membres allemands et français qui appartiennent à trois catégories distinctes : les entreprises, les chambres de commerce, les groupements patronaux. Le conseil tient des séances plénières précédées de réunions partielles au cours desquelles partie française et partie allemande définissent séparément leurs positions respecti­ves sur les problèmes du moment. C’est lui qui désigne en son sein les deux prési­dents, l’un français, l’autre allemand, qui alternent à la tête de l’association tous les dix-huit mois, puis tous les ans. Il existe également un comité directeur paritaire de dix membres qui assiste le président dans l’expédition des affaires courantes, des commissions paritaires entre lesquelles se répartissent les membres pour l’examen de problèmes techniques et deux secrétaires généraux. La Chambre a son siège à Paris, rue de Miromesnil. Mais le rôle directeur de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) s’exprime dans le fait que c’est toujours non loin de là, avenue de Friedland, dans ses salons, que se tiennent l’assemblée générale et les manifestations de prestige organisées par la Chambre. D’ailleurs, les deux prési­dents français de la Chambre, Jacques Fougerolle et Jean Marcou, ont tous deux avant d’occuper cette fonction été présidents de la CCIP, puis de l’Assemblée permanente des chambres de commerce et d’industrie, en un évident parallélisme de carrière dans les institutions consulaires.

Dans ce mode de fonctionnement, qui n’est pas dépourvu d’une certaine lour­deur, deux traits dominent : la longévité dans l’exercice des fonctions dirigeantes, le rôle essentiel des commissions. La longévité provient essentiellement du fait que tout, dans la Chambre, repose sur la cooptation. Lorsqu’un membre du conseil d’administration démissionne, en général à l’occasion de son départ en retraite, lui succède un autre administrateur qui travaille dans la même entreprise ou une entre­prise proche et qu’il a lui-même désigné. L’assemblée générale annuelle se borne à ratifier cette désignation. Par exemple, le représentant de l’Union des industries chimiques, de 1955 à 1962, est Pierre Bruneton, directeur général de L’Air Liquide. Lui succède en 1963 Simon Lazard, qui travaille aussi à L’Air Liquide, où il est ingénieur conseil chargé des affaires allemandes. On peut ainsi être reconduit dans ses fonctions d’administrateur durant de longues années, à tel point même que certains des membres fondateurs de la Chambre en 1955 sont toujours en fonction un quart de siècle plus tard, tels, du côté allemand, Heinz Bömers, de la firme de négoce de vins Reidemeister & Ulrichs, de Brême, ou Alfred Toepfer, le grand négociant de céréales de Hambourg, pour ce dernier à titre honoraire il est vrai.

Le deuxième trait dominant du mode de fonctionnement de la Chambre a trait au rôle des commissions. Il en existe quatre : commission des échanges extérieurs, bientôt transformée en commission pour les questions agricoles, commission des banques et des assurances, commission des transports, commission des questions juridiques et des brevets. Elles se réunissent à intervalles variables pour entendre des rapports souvent établis par des experts extérieurs à la Chambre, juristes, uni­versitaires, hauts fonctionnaires, et pour émettre des avis ou des motions éven­tuellement transmises aux pouvoirs publics. C’est dans ces commissions que s’éla­bore une part essentielle du travail de la Chambre. Elles sont d’ailleurs présidées par des personnalités en vue. Citons par exemple, à la commission des brevets et des questions juridiques, Paul Marchandeau, l’ancien ministre des Finances, puis de la Justice du gouvernement Daladier, devenu administrateur de la société des Champagnes Heidsieck-Monopole, ou, à la commission des banques et des assu­rances, Jean Wenger-Valentin, président du Crédit industriel d’Alsace et de Lor­raine, ainsi que de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg, qui est l’une des principales figures du grand patronat alsacien.

Mais la réussite éventuelle de la Chambre ne dépend pas seulement de son mode de fonctionnement. Elle est aussi liée à sa représentativité. Le nombre de membres de la Chambre a certes augmenté, passant de 550 en juin 1955 à 2 072 en janvier 1962. Il plafonne ensuite autour de ce chiffre, puis amorce un léger recul : 1 800 membres à la fin des années 1960. Beaucoup d’entreprises trouvent en effet le montant des cotisations trop élevé et négligent de renouveler leur adhé­sion. Ce nombre est important par rapport à l’AFREA et à la DEFRA. Il reste insuffisant pour fournir à la Chambre des ressources financières qui la rendraient indépendante des subventions extérieures. Selon son président français, Jacques Fougerolle, un industriel du bâtiment et des travaux publics, il en faudrait au moins 3 000 pour atteindre ce but.[5]

À quels secteurs appartiennent les entreprises qui adhèrent à la Chambre ? L’étude de ses annuaires[6] montre qu’au milieu des années 1960 les deux-tiers d’en­tre eux se rattachent à l’industrie, un quart au secteur tertiaire (banques et assuran­ces comprises), le complément provenant de l’adhésion collective des associations professionnelles, groupements patronaux et chambres de commerce. On observe ici un net décalage entre membres français et membres allemands. En nombre global, les Français sont, durant les quinze premières années de l’institution, les plus nombreux. Ils fournissent en moyenne selon les années 55 à 60 % des effec­tifs. Par secteurs, l’industrie est sous-représentée dans la partie française (60 % du total), alors que, dans la partie allemande, c’est l’inverse, car elle y accapare près des trois quarts du total (73 %). Paradoxalement, la représentativité de la Chambre n’est pas vraiment affectée par ces déséquilibres. On peut même estimer qu’elle en sort renforcée.

Dans les exportations françaises vers l’Allemagne, une place très importante est en effet encore détenue, durant cette période, par les produits agricoles de base, les articles de luxe ou de haute qualité (parfums, vins et liqueurs, soieries, tissus de laine) qui conservent leur rôle traditionnel. Or beaucoup de membres français de la Chambre, qui siègent dans ses organes dirigeants, appartiennent justement à des firmes de négoce ou à des maisons spécialisées dans ce genre de fabrication, tels Ernest Lemaire-Audoire, président de la Fédération nationale de la boucherie en gros, Jean Barioz, du Syndicat des fabrications de soieries et de tissus de Lyon, ou Yves Glotin, des Etablissements Marie-Brizard, de Bordeaux. Il y a certes aussi parmi eux des hommes d’affaires qui représentent les secteurs « modernes », comme François Peugeot pour la construction automobile, Georges Desbrière, président de Tréfimétaux, pour la métallurgie non-ferreuse, ou encore Jean Marcou, qui préside la partie française de la Chambre à partir de 1963 et est pro­priétaire de Técalémit, une entreprise fabricant des équipements automobiles de la région parisienne, implantée aussi en Westphalie, à Bielefeld. De même, dans la partie allemande, il est significatif de noter le rôle détermi­nant que continuent à jouer des secteurs qui, pourtant, ne figurent pas parmi ceux qui, au cours de la période, se signalent par un dynamisme particulièrement élevé : bonneterie, industrie du cuir et de la chaussure, grand négoce alimentaire. C’est le président d’une firme de tricotage de Stuttgart, Ulrich Doertenbach, qui est choisi pour être en 1955 le premier président de l’institution. Il est vrai qu’après sa dispa­rition en 1958, ce sont ensuite de grands banquiers qui se succèdent à la présidence : le baron von Falkenhausen, co-associé de la maison Burkhardt, à Essen, puis Dietrich von Grunelius, membre du directoire de la Commerzbank.

Vues au prisme de la Chambre officielle de commerce franco-allemande, les relations d’affaires entre les deux pays conservent donc un visage très traditionnel. Il est d’ailleurs significatif qu’il faille attendre 1973 pour que, par arrêté ministériel en date du 20 juin, la Chambre reçoive le droit d’ajouter à sa dénomination le terme « industrie », devenant alors Chambre officielle franco-allemande de commerce et d’industrie. Durant ses quinze premières années de fonctionnement, le rôle joué par la Chambre a de nombreuses dimensions. Elle est d’abord, comme tout organisme consulaire, une instance de représentation et de défense des intérêts professionnels auprès des pouvoirs publics. Par exemple, elle proteste avec vigueur contre toutes les mesures qui tendraient à freiner le développement des échanges entre les deux pays. En mars 1957, elle adresse une motion au gouvernement Guy Mollet, contraint par la crise des changes de raccourcir la durée des licences d’importation de biens en provenance de l’Allemagne et d’instituer un dépôt de garantie préalable représentant 25 % de la valeur des commandes. En décembre 1964, elle s’inquiète de la décision récemment prise par la Commission européenne dans l’affaire Grundig-­Consten qui condamne les contrats d’exclusivité entre producteurs et distributeurs, réclamant un assouplissement car, estime-t-elle, de tels contrats sont utiles au « plus grand bien des consommateurs ».[7]

On voit aussi la Chambre intervenir activement et régulièrement dans la mise en place de la réglementation communautaire. Elle multiplie les travaux sur les dispositions à prendre pour rapprocher les législations nationales, notamment en matière de brevets et de marques de fabrique. Elle édite de nombreuses études sur certains aspects techniques : par exemple, 17 publications, en français et en alle­mand, de 1967 à 1975, sur des problèmes aussi divers que l’introduction de la TVA en Allemagne, le statut juridique des représentants de commerce et agents com­merciaux, la double imposition, etc. Parfois, la Chambre prend position sur des problèmes de nature politique, discrètement, étant donné la dépendance étroite qui la subordonne au gouvernement français, mais néanmoins avec fermeté. Elle s’écarte alors sensiblement des thèses officielles. Au lendemain de la réduction des droits de douane intérieurs et de l’abaissement du tarif extérieur commun décidés par les Six en mai 1960, Jacques Fougerolle espère devant le conseil d’administra­tion de la Chambre que ces décisions permettront un rapprochement avec la petite zone de libre-échange.[8] Quelques semaines après la conférence de presse du géné­ral de Gaulle de janvier 1963 opposant son veto à l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, Jean Marcou porte, lors d’une réception à Wiesbaden, un toast aux succès à venir de l’Europe, évoquant la future adhésion britannique avec, comme l’écrit la revue de la Chambre, « toutes les précautions oratoires [...] qui s’imposaient ».[9] Enfin, lorsqu’en 1965 la politique dite de « la chaise vide » pratiquée par la France à propos du financement de la politique agricole commune paralyse les institutions communautaires, la Chambre demande aux gouverne­ments français et allemand de « ne négliger aucun effort pour qu’une solution soit apportée d’ur­gence à la crise actuelle ».[10]

Ces prises de position libre-échangistes et supranationales s’accompagnent d’une nette préférence manifestée par la Chambre en faveur d’une économie déga­gée des interventions trop pesantes de l’État. Son assemblée générale fait un triom­phe à Ludwig Erhard, venu lui déclarer en octobre 1962, outre sa conviction que la Grande-Bretagne et les autres membres de la zone de libre-échange entre­raient quelque jour dans la CEE, que les progrès accomplis par l’économie fran­çaise depuis 1958 ne sont attribuables, ni aux plans, ni à « l’économie concertée », mais au fait que « sous une autorité forte, elle a trouvé la base d’une politique financière équilibrée », une déclaration qui a d’autant plus de portée qu’elle est faite en pré­sence de son homologue, Valéry Giscard d’Estaing, et devant un audi­toire de plus de cinq cents personnes.[11]

Dans de telles circonstances, la Chambre peut nourrir l’ambition de jouer un rôle de groupe de pression sur les gouvernements nationaux, attendant d’eux qu’ils infléchissent leur action dans telle ou telle direction, non seulement en ce qui concerne l’élargissement de la CEE, mais aussi dans le domaine de la politique conjoncturelle. Dès octobre 1964 par exemple, sa commission des banques et des assurances réclame la coordination des politiques budgétaires et monétaires, car « des crises de balances des paiements, des restrictions aux mouvements interna­tionaux de capitaux et un afflux excessif de capitaux spéculatifs peuvent être tout aussi nuisibles à la continuité de la conjoncture et à l’expansion économique que des tendances inflationnistes partant de l’intérieur ».[12]

Organe de défense des intérêts professionnels auprès des pouvoirs publics, la Chambre est, en retour, utilisée par ces derniers pour faire passer certains messa­ges auprès des chefs d’entreprise, les inciter à adopter certains comportements, tester leurs réactions face à tel ou tel projet. Très officiellement d’ailleurs, la Chambre participe aux comités mixtes qui ont été créés par les gouvernements des deux pays et où siègent, aux côtés de hauts fonctionnaires, des représentants du monde de l’industrie et du commerce. Elle est donc une sorte de « courroie de transmission », employée par les gouvernants d’autant plus aisément qu’ils sont systématiquement conviés aux grandes manifestations organisées par la Chambre. Parfois certes leurs exhortations manquent de tout caractère concret. Pour convaincre les chefs d’en­treprise français d’exporter davantage vers l’Allemagne, le conseiller commercial à l’ambassade de France, Bernard Lefort, se borne à lan­cer un appel à « un esprit d’audace, dans une certaine mesure d’aventure, d’enthou­siasme [...], une sorte de mystique ».[13] D’autres fois au contraire, leurs interven­tions savent se faire plus convaincantes, en janvier 1966 par exemple, lorsque deux responsables des rela­tions extérieures au sein des ministères français et allemand de l’Économie viennent montrer comment les filiales communes fondées par les entreprises des deux pays, les accords de spécialisation et de sous-trai­tance, la coordination des politiques de recherche et de formation professionnelle peuvent éviter le creusement des désé­quilibres dans les échanges bilatéraux.[14]

Moyen de sensibiliser les hommes d’affaires à une coopération renforcée, la Chambre officielle de commerce franco-allemande est enfin, et c’est sans doute l’un de ses principaux mérites, un lieu privilégié pour le dialogue entre ses mem­bres. Elle rend des services appréciables aux industriels et aux commerçants qui souhai­tent développer leurs échanges ou s’implanter dans l’un des deux pays. Même si, ayant son siège à Paris, elle ne possède guère en Allemagne qu’une antenne tempo­raire qui, pour des raisons financières, doit être bientôt fermée, elle met à leur disposition de nombreux moyens d’information, à commencer par sa revue, tri­mestrielle, puis bimestrielle, présentée sous forme bilingue, Échanges franco-alle­mands, puis Revue économique franco-allemande. Chacun de ses numéros con­tient le calendrier des foires et expositions, les cours des changes et des matières premières, la liste des accords de coopération récemment conclus entre entreprises des deux pays, outre, bien sûr, les comptes rendus des réunions tenues par la Chambre, les débats de ses commissions et des articles consacrés à tel ou tel aspect du fonctionnement des deux économies. La Chambre organise aussi des voyages d’études, des congrès, des séminaires, tenus dans des lieux très divers, en France et en Allemagne : au cours de la seule période 1967–1975, le numéro spécial que publie la revue pour commémorer le vingtième anniversaire de l’institution en recense 31.[15]

La Chambre ne néglige pas non plus la formation professionnelle, à ses diffé­rents niveaux. En collaboration avec les écoles supérieures de commerce et le Goethe Institut, elle organise chaque année des cours d’allemand commercial, sanctionnés par un diplôme à la valeur reconnue. Elle coopère avec l’INSEAD (Institut européen d’administration des affaires), fondé à Fontainebleau en 1957 par la CCIP. On y donne une formation aux méthodes modernes de gestion des entreprises, dispensée en trois langues (français, anglais, allemand) à des étudiants originaires de divers pays de la CEE. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que les deux premiers présidents français de la Chambre, Jacques Fougerolle et Jean Marcou, s’impliquent de près dans le renouveau de l’enseignement supérieur fran­çais, non seulement dans le cadre de leurs fonctions à la CCIP, dont c’est l’une des missions, mais aussi parce que Jacques Fougerolle, ingénieur des Arts et Manu­factures et président de la Société des ingénieurs civils, s’intéresse plus particu­lière­ment au contenu de l’enseignement donné par son ancienne école, tandis que Jean Marcou, pour sa part, manifeste son appui à l’INSEAD en plusieurs occa­sions.

Propice aux rencontres entre les chefs d’entreprise des deux pays, la Chambre leur a souvent donné l’occasion de discuter de leurs problèmes concrets, avant, pendant ou après ses réunions. C’est devant elle qu’en janvier 1966, Arnaud de Vogüé, président de Saint-Gobain, fait part de son expérience de patron d’une grande firme multinationale où l’on spécialise les diverses filiales et succursales établies dans les différents pays et où l’on est attentif à ce que leur stratégie, tout en respectant leur autonomie, ne nuise pas pour autant à la cohérence de l’ensem­ble.[16] Et l’on devine à travers certains témoignages ou correspondances, que les ren­contres privées entre les hommes d’affaires ont eu souvent pour cadre ou pour prétexte les réunions publiques organisées par la Chambre.

Plus modestes, mais non dépourvus d’importance, sont les Bierabende (soi­rées autour d’une bière) où se retrouvent à intervalles plus ou moins réguliers, dans les locaux de la compagnie Lufthansa, rue Royale, à Paris, certains des membres de la Chambre ; les petites annonces immobilières, offres d’emploi, publicités à caractère touristique, contenues dans sa revue ; la création, en décem­bre 1965, d’une section Jeunes cadres qui rassemble, sous une forme analogue aux Juniorkreise des cham­bres de commerce et d’industrie allemandes, les cadres de moins de quarante ans, français et allemands, résidant à Paris et leur permet de discuter de leurs problèmes communs. La Chambre officielle de commerce franco-allemande a bien été une instance de dialogue qui a permis aux chefs d’en­treprise de prendre conscience des impératifs de la compétition internationale et de la nécessité d’une coopération plus étroite entre les deux pays.

La Chambre ne se heurte pas moins, dès ses premières années de fonctionne­ment, à des difficultés qui ont leur part de responsabilité dans une évolution qui, peu à peu, provoque une profonde transformation de son caractère. Elle ne par­vient pas à équilibrer ses comptes, se rendant ainsi dépendante des institutions qui la subventionnent. Il s’agit, pour l’Allemagne, du Deutscher Industrie- und Han­delstag, pour la France, de la CCIP et du CNPF d’une part, du gouvernement fran­çais de l’autre. Les présidents successifs de l’institution, tant français qu’alle­mands, doivent donc quémander sans cesse pour obtenir la reconduction de ces subven­tions qui, ne résultant pas d’une règle préétablie à l’avance, donnent lieu à d’inces­sants marchandages. L’administration française en profite pour accroître sa tutelle sur la Chambre. En mai 1967 par exemple, elle n’accepte d’accroître ses verse­ments qu’à condition que, de son côté, la Chambre « intensifie ses interven­tions sur le marché allemand et accroisse l’efficacité de [son] action en faveur de l’ex­portation française ».[17] Manquant d’argent, la Chambre doit renoncer à certaines initiatives, comme par exemple l’ouverture d’un bureau de représentation à Cologne qui ne peut être maintenu que durant quatre années, de 1958 à 1962, car la Société générale alsacienne de banque, qui avait mis gracieusement un local à sa disposi­tion, décide d’en reprendre l'usage pour son propre compte.

Plus grave encore : la Chambre voit son fonctionnement s’altérer. La CCIP lui reproche de coûter trop cher pour une utilité finalement réduite. En 1973, certains de ses dirigeants redoutent qu’elle ne devienne « une sorte de Chambre de com­merce allemande en France ».[18] Deux ans plus tard, en 1975, à l’occasion du ving­tième anniversaire de l’institution, dans un projet d’article signé du président de la CCIP et destiné à figurer dans le numéro commémoratif de la revue, le reproche tourne à l’aigre : « Jusqu’à présent, peut-on y lire, les efforts de la Chambre franco-allemande ont surtout permis l’ouverture de notre marché aux industriels et aux investisseurs allemands. Il serait souhaitable que cette compagnie use mainte­nant de son influence pour que les gouvernements, les chefs d’entreprise, les res­ponsa­bles de l’économie et du commerce agissent en sorte que nos producteurs puissent saisir la grande chance qu’offre à notre pays la présence de l’autre côté du Rhin d’un marché de 60 millions de consommateurs ».[19] Ce texte, injuste envers l’action entreprise, ne sera pas publié. Il n’empêche qu’au fil des ans, l’équilibre entre partie française et partie allemande, qui avait permis un fonctionnement harmonieux de la Chambre, est en train de disparaître. Numériquement tout d’abord : la part relative des adhérents allemands, partie d’un niveau médiocre (38 % en 1956) ne cesse de se renforcer. Á partir du début des années 1970, elle devient nettement majoritaire. Institutionnellement ensuite : le caractère paritaire demeure, mais il ne parvient à être maintenu que de plus en plus difficilement.

On assiste en 1988 à l’aboutissement de toutes ces difficultés. La Chambre se scinde alors en deux. La partie française décide de s’installer à Sarrebruck et d’y fusionner avec la Chambre de commerce française en Sarre. La partie allemande reste à Paris, y change légèrement de dénomination, abandonnant le terme « officiel » pour devenir Chambre franco-allemande de commerce et d’industrie, et poursuit son développement. Désormais, dans ses instances dirigeantes, la pro­por­tion réservée aux membres français n’est plus de la moitié, mais du tiers. Pour l’institution, c’est une transformation profonde, voire une renonciation au caractère paritaire qui en faisait la singularité. Elle ne doit pas faire oublier pour autant le rôle multiforme qu’a su jouer la Chambre. Elle a été tout à la fois un organisme de représentation des intérêts patronaux et un groupe de pression ten­dant à infléchir l’action gouvernementale. Les pouvoirs publics l’ont utilisée pour contrôler les rapports économiques franco-allemands, mais aussi pour tenter d’en infléchir l’évolution. Pour ses membres enfin, elle a tenu le rôle d’espace de convi­vialité, de lieu d’échange et de dialogue, sans pour autant éviter que s’expriment entre eux des rivalités et des tensions qui l’ont peu à peu contrainte à une complète mutation de ses structures internes.



[1] La revue de la Chambre de commerce franco-allemande s’est d’abord intitulée Échanges franco-allemands de 1956 à 1964. Elle devient Revue économique franco-allemande de 1965 à 1970, enfin Contact à partir de 1971. Les archives de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (27, avenue de Friedland 75008 Paris) conservent certains documents relatifs à la Chambre franco-allemande, sous la cote I 5-10 (3) à (8). Nous remercions l’archiviste de la Chambre, M. Cottarel, de nous en avoir facilité la consultation. Nous avons pu par ailleurs recueillir le témoignage de M. Jörg Langer, ancien directeur de la Chambre. Qu’il trouve ici l’expression de notre gratitude.

[2] Bührer, Werner, Wegbereiter der Verständigung. Deutsch-französische Industriellenkon­takte 1947–1955, in : Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, t. XXIII, janvier–mars 1991, p.73–86; Wilkens, Andreas, Das Programm von La Celle Saint-Cloud. Der Aus­bau der deutsch-französischen Wirtschaftsbeziehungen 1954–1957, ibid., t. XXV, octobre–décembre 1993, p.565–580; Lefèvre, Sylvie, Les relations économiques franco-allemandes de 1945 à 1955. De l’occupation à la coopération (Comité pour l’histoire économique et financière de la France, XVIII), Paris 1998, 527 p.

[3] Eck, Jean-François, Les entreprises françaises face à l’Allemagne de 1945 à la fin des années 1960 (Comité pour l’histoire économique et financière de la France, XIX), Paris 2003, 656 p.

[4] Cité par Lefèvre (note 2), p. 407–408.

[5] Procès-verbal du conseil d’administration de la Chambre, 17 février 1956, Archives de la CCIP, I 5-10 (6).

[6] Guide-annuaire 1965 du commerce franco-allemand (bilingue), publié par la COCFA, décem­bre 1964, 276 p.

[7] Échanges franco-allemands, n° 38, décembre 1964.

[8] Déclaration au conseil d’administration de la Chambre, 20 juin 1960, Archives de la CCIP, I 5-10 (6).

[9] Échanges franco-allemands, n° 31, mars 1963, p. 8.

[10] Procès-verbal du conseil d’administration de la COCFA, 25 novembre 1965, Archives de la CCIP, I 5-10 (8).

[11] Échanges franco-allemands, n° 30, décembre 1962.

[12] Résolution adoptée le 27 octobre 1964 et envoyée à la Commission européenne, reproduite dans Échanges franco-allemands, n° 38, décembre 1964, p. 8.

[13] Allocution devant la COCFA, Échanges franco-allemands, n° 13, avril 1958, p. 5.

[14] Conférence tenue devant la COCFA le 31 janvier 1966, Revue économique franco-alle­mande, 1966, n° 2.

[15] La Chambre officielle franco-allemande de commerce et d’industrie a vingt ans, Revue écono­mique franco-allemande, 1975, n° 5, p. 24–25.

[16] Conférence devant la COCFA le 31 janvier 1966, Revue économique franco-allemande, 1966, n° 2.

[17] Lettre de Jean Marcou à Henri Courbot, président de la CCIP, lui exposant la situation finan­cière de la COCFA, 28 mars 1967, Archives CCIP, I 5-10 (7).

[18] Lettre de Dominique Bagge, responsable des relations internationales à la CCIP, à Arrighi de Casanova, président de la Chambre, 19 mars 1973, Archives CCIP, I 5-10 (8).

[19] Passage reproduit dans la lettre d’Alain Pottier-Thionville, secrétaire général de la COCFA, à Dominique Bagge, 11 avril 1975, Archives CCIP, I 5-10 (8).


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Jean-François Eck

( 2007 )
Zitation
Jean-François Eck, La chambre de commerce franco-allemande Évolution et rôle d'une institution patronale des années 1950 aux années 1970, in: Themenportal Europäische Geschichte, 2007, <www.europa.clio-online.de/essay/id/fdae-1425>.
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